Les cerises deviendront-elles des produits “hauts de gamme” ? Boira-t-on bientôt des grands crus en provenance de Normandie
Pour répondre à ces questions, mais surtout pour aider les territoires à adapter leur système agricole et alimentaire à la nouvelle donne climatique, Auxilia réalise des études de filières agricoles et alimentaire. De quoi s’agit-il exactement, quels sont les enjeux auxquels sont et seront confrontés nos territoires dans les prochaines années ? L’article revient sur plus de 10 ans d’études et propose un décryptage pour comprendre les tendances actuelles et les enjeux les plus prégnants.
Une filière qu’est-ce que c’est ?
Une filière agricole et alimentaire, c’est l’ensemble des acteurs et des outils qui participent à la production de produits alimentaires, du champ à l’assiette, et parfois même jusqu’à la poubelle ainsi qu’en amont du champ. On retrouve sur un même périmètre géographique, à l’échelle d’un territoire, une multitude de filières différentes qui interagissent souvent entre elles : des filières dédiées à l’export, au marché national, régionales, locales, voire ultra-locale avec la vente en directe.
C’est un système avec de nombreux acteurs et plein de maillons ; ce sont les étapes qui permettent de collecter, transformer, distribuer les matières premières agricoles en produits alimentaires. Tous ces maillons sont interconnectés et interdépendants : c’est un système complexe. À titre d’exemple, la fermeture d’un outil de transformation (une laiterie) fragilise l’ensemble des acteurs de la filière qui en dépendent. À l’inverse, l’augmentation de la consommation de certains types de produits ou une nouvelle opportunité de débouchés pour les productions locales, permettent de développer et structurer des filières.
La France est un pays avec une agriculture très diversifiée, comprenant des filières animales et végétales. Les filières françaises se distinguent par un haut niveau de qualité, certaines étant mondialement reconnues pour leur excellence (vins, fromages, viandes), avec des signes officiels de qualité comme l’AOP et l’AOC. L’agriculture française est très qualitative, et les acteurs savent très bien valoriser les produits : transformateurs, restaurateurs… Un certain nombre de filières d’excellence cohabitent avec des filières conventionnelles classiques, ainsi qu’avec des filières engagées dans la transition écologique.
Nous avons aussi certaines filières presque exclusivement dédiées à l’export : ce sont des circuits très longs, qui contribuent à l’image de la « Ferme France ». L’élevage est également un marqueur phare des filières françaises mais connaît d’importantes difficultés depuis quelques années.
L’agriculture françaisequels bouleversements à venir ?
Le principal bouleversement est incontestablement le changement climatique. La vérité, c’est que nous ne sommes pas prêts. C’est le défi majeur et transversal de l’agriculture : il impacte la ressource en eau, les rendements, la capacité à produire certaines choses à certains endroits. Certaines filières historiques ne seront plus envisageables à cause du changement climatique.
Par exemple, l’arboriculture est très vulnérable aux aléas climatiques et aux ravageurs : certains fruits, comme les cerises, sont amenés à devenir des produits « hauts de gamme » du fait de la rareté et de la difficulté que nous aurons à en produire à cause des aléas climatiques. Toutes les cultures irriguées dans le sud vont devenir compliquées à maintenir. Les crustacés, comme les huitres, seront menacés dans certaines zones où l’eau deviendra trop chaude. En viticulture, certains territoires ne pourront plus produire de vin de qualité : on parle même de vignes grands crus en Normandie ou en Angleterre d’ici 2050. Il y aura des perdants et des gagnants, mais la majorité sera perdante.
Par ailleurs, le renouvellement générationnel est autre défi majeur pour le système alimentaire français : la moyenne d’âge des agriculteurs est de 51, 4 ans (Recensement agricole 2020). Face aux problématiques de rémunération et conditions de travail difficiles, les métiers agricoles et agroalimentaires peinent à recruter.
Enfin, le dernier enjeu majeur c’est la diversification alimentaire. Ce que nous consommons au quotidien impacte directement les filières. De plus en plus, nous mangeons tous la même chose toute l’année. Certains produits disparaissent des rayons : la consommation de pêches s’est effondrée (face aux nectarines), plus personne ne mange de chevreau et on mange de moins en moins de blanquette. Parallèlement, la demande en pièces à griller a explosé, tout comme les ailes et cuisses de poulets. Pourtant, lorsqu’il est élevé, un poulet est entier. Il y a une réelle déconnexion entre la consommation alimentaire et l’offre agricole. Le narratif autour de l’agriculture et l’alimentation doit évoluer.
Alimentation de demain qui la produira et quelles seront les filières ?
Il nous parait clair que l’agroécologie et l’agriculture biologique offrent les meilleures perspectives pour la préservation de l’environnement comme pour le revenu des agriculteurs. Il faudrait idéalement tout faire pour maintenir une agriculture la plus résiliente possible, qui préserve la biodiversité, les sols, l’eau. Pour cela, nous devons accompagner les filières (du champ jusqu’à l’assiette) dans leur transition et adaptation au changement climatique. Cela signifie avoir les outils adaptés pour valoriser les productions agricoles, les distribuer et accompagner les changements de comportements alimentaires, vers une consommation qui soit à la fois locale, bonne pour la santé et l’environnement. Ce triptyque est essentiel pour envisager la transition du système alimentaire et des filières qui le composent.
Or cette transition ne peut s’envisager sans les outils nécessaires pour valoriser les productions agricoles localement. Aujourd’hui, de nombreuses matières premières sont transformées ailleurs dans le monde et reviennent ensuite en France sous forme de produit fini. C’est le cas par exemple de plusieurs cultures à Bas Niveaux d’Intrants (BNI) comme le chanvre, le lin, le miscanthus, qui s’insèrent dans des filières textiles ou de construction. Nous avons 7 millions de moutons mais presqu’aucune filature de laine. C’est fou, mais c’est aussi le reflet de nos modes de consommation : qui achète aujourd’hui des pulls 100% laine de mouton français ?
Envisager la relocalisation des outils de transformation nécessite également de se questionner sur la place des agriculteurs dans ces filières et de la gouvernance de ces outils. On observe aujourd’hui une forte tendance à la concentration des outils de transformation (laiterie, abattoirs…) par de très gros industriels, qui disposent d’importantes marges de manœuvre économiques, contrairement aux petits outils de transformation. Dans ces filières nationales, voire mondiales, les marges des agriculteurs sont écrasées par cette recherche du prix le plus bas.
Collectivités territoriales quelles bonnes pratiques pour les filières ?
L’objectif d’une étude filière est d’identifier les besoins et les leviers de valorisation locaux des productions agricoles locales. Il s’agit également de comprendre le rôle que jouent et pourraient jouer les différentes parties-prenantes du système alimentaire : les opérateurs agricoles et agroalimentaires, les distributeurs, les producteurs, la collectivité territoriale etc. L’idée est de monter un projet dans lequel chacun trouve sa place en fonction de ce qu’il sait faire et peut faire.
Les territoires sont tous différents, mais la méthode reste la même : on interroge les acteurs des filières et on cherche à comprendre leurs interactions, ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas. En fonction du territoire, les opportunités ne sont pas les mêmes et n’émergent pas les mêmes projets et types de solutions pour faire coïncider les différents maillons des filières, de la production, jusqu’à la consommation. La première chose à faire, est d’expliquer à la collectivité qu’elle est un débouché potentiel. C’est souvent le premier levier à actionner : que faire pour soutenir les producteurs ? Acheter leurs produits à un prix juste, via la restauration collective. Ensuite, elles peuvent intervenir de différentes façons pour accompagner et soutenir la relocalisation de l’alimentation : aider à l’investissement, mettre en relation et animer des dynamiques partenariales, communiquer, sensibiliser.
Enfin, lorsque l’on parle « d’étude filière », on parle en général de filières qu’une collectivité souhaite soutenir car en grande difficulté ou accélérer au regard de considérations écologiques, sanitaires ou de résilience alimentaire. L’étude filière est avant tout un moyen pour atteindre des objectifs qu’une collectivité territoriale se fixe, par exemple dans le cadre d’un Projet Alimentaire Territorial. À titre d’exemple, c’est un moyen pour accompagner les changements de pratiques agricoles et comprendre comment soutenir et développer l’agriculture biologique pour préserver la ressource en eau.
Le projet Seine Nourricière, menée pour la Ville de Paris avec l’association Agri Paris Seine avait pour objectif final la protection de la ressource en eau à l’échelle du bassin Seine-Normandie. L’un des axes de travail prioritaire était la structuration de filières durables sur le territoire, par la restauration collective. Notre étude consistait alors à étudier les freins et les leviers d’actions à l’approvisionnement en produits durables (biologiques et sous signes officiels de qualité et de l’origine) en restauration collective, pour 4 filières : bovin viande, légumes, fruits et légumineuses.
Le bilan a été très positif : l’étude a permis d’identifier les outils de valorisation manquants, notamment un important besoin en logistique de proximité ainsi que les conditions d’approvisionnement de la restauration collective en produits biologiques locaux.
L’optimisation des outils de transformation existants, la transformation de l’organisation de la restauration collective scolaire et la rencontre entre les acteurs de l’offre et de la demande sont les enseignements essentiels pour soutenir le développement de filières durables et de proximité. Accompagnés de dispositifs de soutien aux conversions pratiques agroécologiques comme les Paiements pour Services Environnementaux, ces leviers sont de puissants outils de développement de filières durables et pérennes sur un territoire. À titre d’exemple, la création d’un outil de transformation dédié aux légumineuses biologiques, accompagné d’une sécurisation des débouchés par la restauration collective publique, la mise en relation avec des distributeurs locaux et de dispositifs d’accompagnement techniques et financiers pour les agriculteurs engagés dans cette culture, permettent l’émergence d’une filière de légumineuses locaux et biologiques.
Ailleurs en France, ce type d’étude peut aboutir à l’émergence d’outils de valorisation pour structurer des petites filières dédiées à la restauration collective ou redynamiser certaines filières agricoles.
Les projets doivent toujours s’envisager en partenariat avec les acteurs locaux. Si le territoire souhaite se lancer, il faut d’abord comprendre quel est son rôle : impulser la réflexion, financer le diagnostic, mettre en lumière les besoins et les opportunités. En fonction des résultats de ce diagnostic, nous accompagnons la collectivité et ses élus à trouver une manière de se positionner intelligemment. Ce positionnement, c’est souvent celui de l’animation et de la mise en relation entre les différents acteurs. Cela prend du temps de travailler avec les acteurs économiques.
Pour revenir à la définition d’une filière évoquée en début d’entretien, il est essentiel de réfléchir de manière systémique et d’envisager les filières comme un ensemble de maillons interdépendants. L’augmentation de la demande en produits locaux, ou biologiques est le levier le plus puissant pour agir sur le maintien et le développement de filières locales qui sont pérennes et viables pour les acteurs qui le composent. Eux-mêmes, agriculteurs, agricultrices, entreprises de transformation, coopératives et représentants agricoles, nous disent tous la même chose.
Produire, c’est notre métier. Passez-nous commande, anticipez vos besoins et mettons-nous d’accord sur les produits que vous souhaitez.
« On sait trouver nos débouchés, on sait où transformer nos productions, ce qu’il nous manque, c’est la demande. »
Pour conclure, revenons à la toute première question. L’essentiel d’une étude filière, c’est de comprendre comment faire fonctionner les maillons des filières de manière cohérente pour approvisionner la consommation locale. L’accompagnement aux changements de comportement, à toutes les étapes de la chaîne, apparaît alors comme indispensable pour envisager la relocalisation et la transition de notre alimentation.
Newsletter conçue par Margot Rat-Patron, Yohan Gaillard et Antoine Meyer Cartier, tous 3 chez Auxilia. Bravo et merci 🙂
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