L'édito janvier 2024

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Eclairer, partager, décloisonner, surprendre les nouvelles tendances, décrypter les signaux faibles…, autrement dit « Réveiller nos futurs », la proposition de la newsletter d’Auxilia. Prospective et réaliste, nous l’avons imaginée comme une source d’inspiration pour les territoires et les structures que nous accompagnons, quels qu’ils soient.

Dans un monde incertain, se tenir au plus près de la recherche pour rester en alerte !

Votre auteurBastien MARCHAND

Bastien MARCHAND

Consultant - Doctorant en redirection écologique
Votre autriceMargot RAT-PATRON

Margot RAT-PATRON

Cheffe de projets Energie & climat
Votre interlocutriceCécile ALTABER

Cécile ALTABER

Directrice Prospective

Ce numéro de janvier de « Réveiller nos futurs », la newsletter d’Auxilia nous présente Cécile Altaber, directrice de l’expertise Prospective, membre du jury du Prix de la thèse sur la ville en 2023.

Retour sur cette expérience, qui nous permet de discuter des liens que les sciences nouent avec l’action publique territoriale et ses acteurs. 

En 2023, pour le Prix de la thèse sur la ville, tu as été membre du jury. Peux-tu nous en dire plus ?

Le Prix de la thèse sur la ville est organisé chaque année par le PUCA et l’APERAU. 2023 a marqué sa 18ème édition. Il récompense des thèses de doctorat qui apportent des éléments de connaissance, nouveaux ou renouvelés, sur le fait urbain, la ville et ses transformations, et privilégie les travaux qui contribuent à éclairer ou interpeller l’action sur les espaces urbanisés, qu’elle soit le fait d’autorités publiques comme d’opérateurs privés.

Les thèses candidates, soutenues au cours de l’année précédente, en France ou à l’étranger mais rédigées en français, peuvent relever de toutes les disciplines : géographie, aménagement, urbanisme, sociologie, mais aussi littérature, philosophie, physique, etc. Cette année, 105 thèses étaient candidates. Je faisais partie d’un jury composé de trente membres, quinze universitaires et quinze praticien·nes. Les thèses sont évaluées par un binôme qui réunit une personne de chaque catégorie, afin de favoriser un croisement des regards. L’évaluation se fait en deux tours selon une série de critères variés : excellence universitaire, originalité, utilité pour l’action (publique), est-ce que le sujet traité relève bien des champs du fait urbain, de l’aménagement ?, etc.

En 2023, le jury a décerné trois prix, le Grand Prix et deux prix spéciaux, qui sont dotés financièrement et donnent lieu à une valorisation en termes de publication.

C’est l’urbaniste Agnès Bastin qui a gagné le grand prix, pour sa thèse intitulée « Des métabolismes territoriaux en transformation ? Gouvernance des matériaux de chantier et expérimentations de nouvelles valorisations en Île-de-France et dans la région de Bruxelles », qui s’intéresse à l’intégration des matériaux de chantier dans une économie circulaire. Elle a fait l’objet d’une recension sur le site de Métropolitiques.

Les prix spéciaux ont été décernés au géographe Milan Bonté pour sa thèse « Négocier la ville en escales. Les espaces publics au prisme des expériences trans à Paris, Rennes et Londres », qui traite de l’expérience des espaces publics par les personnes trans à travers trois terrains d’étude, et au sociologue Charles Reveillere dont la thèse « Demain c’est loin, et aujourd’hui c’est déjà trop tard » : vivre et gouverner le délogement dans deux espaces populaires en attente de rénovation urbaine » a aussi fait l’objet d’une recension sur Métropolitiques. Sur le site du PUCA, on peut retrouver la liste des autres thèses que le jury a souhaité saluer, pour leur excellence universitaire, leurs apports pour penser la ville, leur caractère novateur…

Thèse de philosophie de Tanaïs Rolland : « Démocratie et droit à l’oeuvre urbaine  perspectives de philisophie politique pour un urbanisme profane » Tu as personnellement évalué cette thèse, peux-tu nous en dire plus ? 

J’ai eu la chance d’analyser cette thèse mais pour le 1er tour, je ne l’ai donc pas (encore) lue in extenso. Ce que j’ai lu m’a néanmoins permis de découvrir un travail de philosophe très maîtrisé, portant sur l’« urbanisme profane » et mobilisant avec brio l’œuvre d’Henri Lefebvre et sa postérité. Tanaïs Rolland montre et explique comment en viennent à se rencontrer le monde (professionnel) de la concertation citoyenne et les milieux du squat ou des chantiers participatifs, à travers une revendication à « faire soi-même » (elle emprunte la notion de « droit à l’œuvre urbaine » à Henri Lefebvre), alors qu’ils ont des soubassements philosophiques et politiques différents. C’est assez fascinant parce qu’elle a elle-même travaillé en agence de concertation citoyenne, vécu en squat, participé à des chantiers participatifs, etc.

Pour moi, co-fondatrice de Plateau Urbain et diplômée du Master recherche de philosophie contemporaine de Paris 1, c’est un peu la thèse que j’aurais rêvé d’écrire… ! 

D’ailleurs, la méthodologie d’enquête est, d’après ce que j’ai pu voir, représentative des méthodologies mobilisées par un certain nombre de thèses candidates, rédigées par des personnes concernées au premier degré par leur sujet d’étude. Je ne suis pas sûre que ça ait toujours été le cas. C’est notamment ce travail scientifique de détachement, de réflexivité et d’analyse critique qui a été salué par le jury et qui prouve que militantisme ou du moins engagement personnel et scientificité peuvent faire bon ménage.

Comment rapprocher le monde de la recherche, les collectivités territoriales et les acteurs qui les entourent d’après toi ?

Beaucoup de choses sont déjà à l’œuvre : le dispositif 1000 doctorants pour les territoires, les programmes POPSU, etc. L’ANCT a aussi travaillé à l’identification de jeunes chercheurs travaillant sur la politique de la ville et ses enjeux, pouvant constituer une “relève scientifique”. À mon avis, les acteurs comme Auxilia peuvent jouer un rôle de passeurs. Et dans un monde incertain, se tenir au plus près de la recherche permet de rester en alerte, d’observer l’évolution des tendances, de détecter des signaux faibles…

Je me demande si les collectivités ont connaissance de ce genre de prix, si dans un quotidien de chargé.e de mission au sein d’une collectivité, on a le temps d’observer ce que le champ scientifique produit sur les questions qu’on traite. Le travail de mise en visibilité mené par le PUCA compte, il contribue à rendre les travaux académiques accessibles. Les acteurs qui gravitent autour des collectivités doivent participer à cet effort tantôt de vulgarisation, de traduction, de synthèse, de transmission…

Cela me fait penser au Club transitions et résilience du Grand Lyon, qui vise à aider les communes de la Métropole (élu·es et technicien·nes) à s’outiller et partager leurs expériences pour mettre en œuvre des projets de transition écologique et de résilience. Cela fait par exemple plusieurs années qu’il y a une préoccupation autour du moustique tigre qui remonte. En 2023, une des thèses candidates portait précisément sur ce sujet. Savoir cela, et lire les travaux, cela nous permet d’avoir des éléments de connaissance sur des sujets divers et parfois très spécifiques.

Quels sont les sujets qui intéressent la recherche au regard de cette expérience ?

Il y a tout un sujet relatif à la transition écologique au sens large : comment la modéliser, l’outiller ou l’instruire ? Comment diffuser une connaissance ? Comment les services environnement arrivent-ils à interpeller les autres départements et services dans les collectivités ? etc. Beaucoup de travaux évoquent la démocratie participative, en questionnant par exemple l’appréhension de certains publics, comme la jeunesse. De nombreuses thèses, notamment en sociologie, portent sur le relogement, les pouvoirs publics dans les quartiers d’habitat social, la construction de soi dans ces espaces. Certains travaux font un bilan des dernières réformes de la gouvernance territoriale, en interrogeant le fonctionnement des intercommunalités, notamment post-fusion d’EPCI.

Des thèses traitent aussi du partage de l’espace public, notamment entre les différents modes de transport, avec l’essor des politiques cyclables par exemple. Et puis il y a des thématiques qui montent, comme celle de l’eau. Enfin, il y a des thèses non directement connectées à l’actualité, qui semblent s’extraire des effets de mode. Je pense notamment à une excellente thèse de littérature sur les représentations de la ville de Québec dans le roman québécois, ou encore à un travail sur l’image de Lyon dans les guides de voyage, dont le corpus embrasse les XIXe et XXe siècles.

Toutes ces thèses, qui portent parfois sur des sujets émergents, plus ou moins « neufs », nous permettent d’actualiser nos connaissances sur ce qui peut relever des effets pervers de telle ou telle politique publique, nous renseigner sur les freins juridiques, organisationnels ou encore réglementaires qui empêchent la diffusion d’une pratique (exemple : l’habitat participatif). C’est très riche !

Propos recueillis par Bastien Marchand, consultant – Doctorant en redirection écologique.
Newsletter conçue par Margot Rat-Patron, consultante et toute l’équipe.

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