Devenue un outil incontournable de toute politique publique territoriale, la participation citoyenne tend aussi à décevoir celles et ceux qui y prennent part. Quelle analyse peut-on faire de cette situation paradoxale ? Réponse avec Nicolas Bataille, sociologue, docteur en sciences sociales et chef de projets au sein d’Auxilia.
la participation citoyenneest devenue incontournable dans toute politique territoriale. quelle vision portes-tu sur ces démarches ?
Il me semble que nous avons encore trop souvent une vision monolithique de la participation citoyenne, cantonnée à sa seule dimension institutionnelle et à la figure du citoyen vu comme un comme un tout homogène. Or c’est une vision très réductrice qui masque l’immense diversité des formes que revêt l’engagement citoyen. On peut évoquer l’exemple des jeunes, dont on déplore souvent la faible présence dans les dispositifs. Leurs engagements sont pourtant multiformes et souvent innovants : manifestation pour le climat, vidéos sur les réseaux sociaux, groupes d’actions directes, refus de certains emplois, etc. Il faut être à l’écoute de ces formes diverses de « politisation » au sens noble du terme.
La participation étant en effet devenue un mot d’ordre pour toute politique publique, les dispositifs participatifs sont vus comme des solutions miracles pour espérer compenser les manques et les limites du modèle de la démocratie représentative – notamment du fait des acteurs du « Marché de la participation », selon le titre de l’ouvrage des chercheures en sciences politiques, Alice Mazeaud et Magali Nonjon, qui font la part belle aux solutions standardisées, souvent embellies par un marketing efficace. Et cela crée des effets de bord. On observe une forme de fascination pour l’outil qui crée un effet d’attente car les concepteurs font des promesses sans forcément être capables de les tenir. Or, il n’y a pas de solution miracle. La participation, ne se réduit pas aux dispositifs participatifs et « one shot », c’est un travail de tous les jours, à remettre sur le métier en permanence, qui repose sur le fait d’écouter et de discuter quotidiennement avec les citoyen·nes.
s’il n’y a pas de solution miracle, tout terrain,que faut-il faire pour que ça marche ?
Je vais prendre l’exemple d’une mission menée avec la commune de Corcoué-sur-Logne, une petite commune rurale. On accompagne la mairie dans une démarche d’engagement citoyen dont le but est de faire émerger des petits groupes d’habitant·es susceptibles de prendre en charge des problématiques. Je pense que le succès de telles démarches dépend de plusieurs facteurs.
Le premier, c’est que le maire, ou les élu·es en général, soit volontaire et accepte de laisser les choses aller comme le veulent les habitant·es. Mine de rien, ça demande de sa part un savant mix d’humilité et de portage politique, car ce genre de démarches ne rentre pas dans les carcans classiques des politiques publiques territoriales. On ne sait pas ce qui va en sortir. Les élu·es doivent être capables de se laisser étonner et surprendre : des problématiques inattendues vont émerger, d’autres seront au contraire délaissée.
Le deuxième, c’est de s’appuyer sur la réalité du terrain. A Corcoué-sur-Logne, il y a par exemple un projet contesté de méthanisation qui a participé à politiser les habitant·es et à dynamiser l’engagement citoyen. Si l’enjeu dépasse largement l’échelon et les compétences communales, à travers leur mobilisation, les habitant·es se sont rencontré·es, des synergies se sont créées grâce et autour du mouvement de contestation. On voit ici que les luttes ne sont pas uniquement des conflits négatifs, des refus, mais aussi des générateurs et des catalyseurs d’engagement. Notre démarche n’aurait pas pu faire l’impasse sur cette dynamique.
Le troisième, c’est qu’il faut partir des passions et des compétences des habitant·es. C’est pour cela qu’on les laisse dicter l’agenda et choisir les problématiques à traiter. En résumé, on ne fait qu’accompagner quelque chose qui est déjà en cours : la prise en charge de la chose publique par les citoyen·nes.
à trop faire peser la politiquesur les habitant.e.s, n’y a-t-il pas un risque à participer sans le vouloir à la destruction de l’action publique ?
En effet, la principale limite que je perçois, c’est qu’on leur délègue beaucoup de choses, qui auraient pu relever de l’action publique. A quel moment on se dit que les habitant·es finissent par prendre la place d’un fonctionnaire et qu’on leur fait faire du travail gratuit pour l’action publique parce que les services publics n’ont plus de moyens ? Ces démarches risquent-elles de contribuer à sabrer le service public, en participant à montrer que, selon une certaine logique, on aurait plus besoin de donner des moyens à la puissance publique puisque certain·es citoyen·nes sont tout à fait capables de prendre en charge un certain nombre de problèmes ? Ce sont des questions qui doivent nous interpeller.
autre limite, on retrouve toujours les mêmespersonnes dans ces démarches, des retraité.es, des personnes politisées, etc. NON ?
On travaille justement avec la métropole du Grand Lyon sur cette question de « l’aller vers » : comment faire pour aller vers les habitant·es et éviter de retrouver toujours les mêmes personnes dans les démarches participatives.
D’abord, je pense qu’il faut déjà être satisfait d’avoir ces personnes-là. Elles sont précieuses et il ne faut pas dénier leur importance. Il faut aussi être humble : on ne va pas aller chercher la mère de famille monoparentale qui n’arrive pas à finir ses fins de mois, elle a d’autres choses à faire que de venir en réunion de concertation, discuter du tracé d’une piste cyclable.
Cela étant dit, à Lyon, la métropole, inspirée par diverses expériences mises en œuvre par des collectivités anglaises, a mis en place un dispositif appelé « les Rencontres Métropolitaines ». Le principe est simple : les 400 agent·es de la métropole, issu·es de tous les services métropolitains et sur la base du volontariat, vont rencontrer des habitant·es représentatif·ves pour discuter de leur vision de la métropole, de l’avenir, etc. En combinant rendez-vous chez l’habitant·e et sur l’espace public, le dispositif va permettre un millier d’entretiens.
Outre des objectifs internes de formation et de cohésion des agent·es, la démarche permet de récolter les choses qu’ont à dire les habitant·es. Cela a un réel potentiel transformateur : on espère que l’écoute des habitant·es va résonner avec le quotidien des agent·es et engendrer des initiatives en matière de transformation de l’action publique. Par ailleurs, les agent·es vont vivre une expérience inhabituelle parce que ces discussions sont généralement médiatisées par tout un tas de choses. Ça a aussi le mérite de redonner du sens aussi au travail des agent·es, en leur montrant que leurs décisions ont des effets concrets.
Cette stratégie de « l’aller vers »est exigeante et n’est pas pour autant applicable partout…
Bien sûr, c’est pour ça que je plaide pour des démarches localement situées qui s’appuient sur ce qui existe déjà sur le territoire, notamment sur les bon·nes représentant·es et porte-parole. On le voit aujourd’hui avec le retour au premier plan de l’action syndicale : on a besoin des corps intermédiaires pour éviter de laisser la démocratie institutionnelle et élective, les élu·es, seule face aux citoyen·nes. Si ce sont deux mondes très éloignés, de nombreux relais, organisations et acteurs en tout genre sont en mesure de faire de l’intermédiation. Prenons l’exemple des politiques cyclables. Les associations locales de cyclistes sont expertes de leur quotidien et sont tout à fait capables de faire remonter des informations sur les infrastructures. C’est sans doute plus efficace de passer par ces acteurs-là que d’interroger 500 usagers et usagères à propos de telle piste cyclable.
A cet égard le recul de l’âge de départ à la retraite est significatif, puisque celles et ceux qui s’impliquent dans les dispositifs de démocratie participative ainsi que dans la vie associative, souvent sur la base du volontariat, ce sont d’abord les retraité·es.
que réponds-tu à celles et ceux qui,devant l’urgence d’agir face à la catastrophe écologique, ont tendance à dénigrer ces démarches démocratiques, jugées trop lente ?
Propos recueillis par Bastien Marchand, consultant – Doctorant en redirection écologique.
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