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L'édito juin 2025

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Backlash écologique : comment contrer les résistances et faire avancer la transition ?

Votre auteur et interlocuteurBertil DE FOS

Bertil DE FOS

Directeur général

Loi Duplomb, affaiblissement du ZAN, abandon des ZFE, moratoire sur les éoliennes… Chaque semaine apporte son lot de (tentatives de) reculs qui compromettent la transition écologique. Avec l’équipe d’Auxilia, on s’est demandé comment surmonter ces résistances sur le terrain. En se fondant sur l’analyse des arguments réactionnaires, nous proposons 4 stratégies pour faire avancer localement des projets écologiques ambitieux et justes.

Argumentaire réactionnairele retour

ZFE, loi Duplomb, recul sur la loi ZAN…. Dans nos missions sur les territoires aussi bien que dans les médias, un phénomène inquiétant émerge : celui du backlash écologique. Ce retour en force des arguments réactionnaires semble marquer un tournant dans la transition écologique. Ce phénomène rappelle les travaux de l’économiste et sociologue Albert Hirschmann, qui, dans son livre Deux siècles de rhétorique réactionnaire, a identifié des stratégies de résistance face aux changements sociaux. Quelles analyses en tirer sur le backlash et comment y répondre ?

La rhétorique réactionnaireles trois arguments clés

Albert Hirschmann a théorisé plusieurs types d’arguments utilisés pour s’opposer aux réformes progressistes. Trois principaux ressorts de la rhétorique réactionnaire se détachent dans le contexte écologique.

1. L’argument de l’effet pervers :
Ce raisonnement stipule que certaines réformes écologiques, loin de résoudre les problèmes, pourraient en réalité aggraver la situation. Par exemple, la mise en place des Zones à Faibles Émissions (ZFE) est souvent présentée comme une mesure qui exclut les ménages les plus pauvres, en les empêchant d’accéder aux centres-villes en raison des coûts liés à l’automobile, alors que ces ménages sont déjà en situation de précarité.

2. L’argument de l’inanité :
Cet argument se fonde sur la comparaison avec d’autres pays. Les détracteurs des réformes écologiques soulignent souvent que, si certaines pratiques, comme l’utilisation de pesticides, sont encore autorisées ailleurs en Europe, pourquoi les interdire en France ? Ce raisonnement minimise l’importance d’agir localement, en invoquant une forme d’impuissance à influencer le changement à l’échelle nationale ou mondiale.

3. L’argument de la mise en péril :
L’argument final consiste à affirmer que certaines réformes risquent de mettre en péril des secteurs économiques vitaux, comme l’agriculture ou l’industrie automobile. Ces réformes seraient perçues comme une menace directe à l’emploi et à la stabilité sociale. C’est ce type d’argument qui justifie le recul sur le ZAN contenu dans la loi de simplification (le ZAN mettrait en péril le développement de nos territoires ruraux).

La panique réactionnaireune critique des méthodes mais pas des objectifs

Ces trois arguments ont un point commun : ils remettent en question les moyens utilisés pour opérer le changement, plutôt que les objectifs et les principes mêmes qui sous-tendent ces réformes. Dans le domaine de la transition écologique, ces critiques ne s’attaquent pas directement à l’idée de préserver la santé des populations, de protéger la biodiversité ou de réduire la pollution de l’eau. Elles n’interrogent pas l’objectif fondamental, qui reste largement accepté, mais critiquent les modalités de mise en œuvre de ces changements (sans en proposer de nouvelles d’ailleurs).

Comment régir face au backlash ?

Plusieurs stratégies peuvent être envisagées. Nous avons essayé d’en définir quelques-unes, en nous appuyant sur les connaissances empiriques acquises par Auxilia et sur les travaux de recherche que nous avons menés (dans le domaine de la psychologie sociale, en prospective des modes de vie, en sciences politiques ou encore en sociologie). Nous les partageons, sans prétendre qu’elles soient les seules, pour que vous puissiez les enrichir, ou donner d’autres exemples qui pourraient aider à améliorer le discernement collectif.

1ère stratégie : recentrer les arguments & adapter les discours

La manière de communiquer les enjeux écologiques et sociétaux joue un rôle crucial dans la réception des réformes. A ce titre, la santé émerge de façon grandissante comme objectifs de plusieurs politiques publiques (ex de l’urbanisme favorable à la santé). Autre inspiration : dans le secteur de l’alimentation, et l’excellente campagne de Gerblé qui rétablit habilement une hiérarchie des enjeux (d’abord le goût & la santé et donc le bio).
De la même façon, pour contrer les oppositions aux ENR, l’approche par les paysages permet de remettre l’attachement aux territoires au centre du débat. Pour voir comment ces approches peuvent être utilisées, consulter le diagnostic du plan paysage Vallée de la Sarthe qu’Auxilia a réalisé (avec nos camarades de la Fabrique du Lieu et Akajoule).

2nde stratégie : nouer des alliances avec les habitants

La première alliance à nouer pour légitimer la transformation écologique est évidemment celle avec les citoyens. En effet, les questions de santé, de protection de la biodiversité ou de protection de la ressource en eau remontent systématiquement dans les priorités que les habitants expriment dans nos enquêtes, et cela est corroboré par de nombreuses études. Renforcer la participation démocratique, c’est permettre que leurs voix se frayent une place dans le débat public et soutiennent des politiques écologiques ambitieuses. Pour le mettre en pratique, l’arsenal des dispositifs d’implication citoyenne est large : jury citoyen (un exemple ici au Taillan en Médoc), groupes miroirs, conventions citoyennes, grands débats…).

3ème stratégie : créer des coalitions étendues

Des coalitions sont à chercher également avec les acteurs socio-économiques. De nombreuses entreprises, de nombreux agriculteurs qui se sont engagés dans la transformation écologique, constituent d’excellents ambassadeurs. Ils disposent d’une capacité inégalable d’entrainement de leurs pairs, pour témoigner que la transformation écologique peut être un moteur de compétitivité et d’innovation, et non un frein à la croissance. Reconnaissons sur ce point que c’est moins facile dans le monde agricole, où les tensions entre tenants de modèles opposés rendent ces ambassades plus rares. Les associations et le secteur de l’ESS sont des alliés naturels, eux qui prennent en charge les publics les plus vulnérables aux crises écologiques. Les associer à l’action publique verte (dans les PCAET, les projets de territoire, les PAT etc…), est une stratégie qui fonctionne.

4ème stratégie : sécuriser tous les acteurs

Pour sortir de l’impasse, il faut davantage sécuriser ceux qui sont impactés par la transition écologique, notamment les plus vulnérables. Pour que la transition soit juste, il faut que ces derniers soient associés aux décisions (ce qui renforce la mise en œuvre de la 1ère stratégie). Notre travail de prospective sur les modes de vie dans les scenarios de l’Ademe 2050 (disponible ici) montrait bien comment la notion de justice, c’est-à-dire d’efforts équitablement répartis couplés à des aides graduées, est indispensable pour rendre acceptable les changements qui s’imposent.

Pour opérationnaliser la transition juste (au-delà des moyens qui font défaut, point qui a été largement documenté), il faut peut-être recourir davantage à une contractualisation socio-écologiques plus engageante entre les acteurs, dans un pacte renouvelé . « je te promets un accompagnement et un soutien en échange d’un changement réel de tes pratiques », que tu sois une entreprise, un agriculteur ou un habitant. C’est exactement ce qu’il a manqué dans l’affaire des ZFE, où l’accompagnement des ménages vulnérables, qui aurait dû être la contrepartie des changements de pratique induits par les ZFE, a failli.

Pour ce faire, ces nouveaux pactes devraient respecter deux conditions. La première : il faut qu’ils se nouent au plus près du terrain, à l’échelle des bassins de mobilité ou des bassins versants dans le cas de l’eau (il faut bien sûr un cadre national et supra-national favorable- la PAC par exemple – le permettent). La seconde : ces pactes doivent être engageants et mesurables pour permettre de vérifier la réalité des changements effectués par les contractants d’un côté, et, de l’autre, vérifier la réalité des aides et du soutien qui sont destinés à accompagner et à soutenir ces changements. La redevabilité des contractants est une condition sine qua non.

Bref…

Le backlash écologique est un obstacle majeur mais il n’est pas insurmontable. En ajustant nos discours, en nouant des alliances avec les citoyens et les acteurs socio-économiques, et en sécurisant les plus vulnérables par des pactes de transition clairs, il est possible de mettre en minorité les réactionnaires et de faire avancer la transition écologique.
On est curieux d’avoir vos retours sur ces stratégies ! N’hésitez pas à nous contacter pour échanger sur ces enjeux cruciaux, soit par e-mail à bertil.defos@auxilia-conseil.com, soit via Linkedin.

Les travaux de Albert Hirschmann
Albert Hirschmann a théorisé trois types d’arguments réactionnaires dans son ouvrage Deux siècles de rhétorique réactionnaire qui critiquent les réformes sans remettre en cause les principes sous-jacents. Ces arguments sont l’effet pervers (réformes contre-productives), l’inanité (inefficacité des actions locales), et la mise en péril (menace pour les secteurs économiques).

Newsletter conçue par Margot Rat-Patron, Yohan Gaillard et Antoine Meyer Cartier, tous 3 chez Auxilia. Bravo et merci 🙂

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