La planification locale de l’énergie en actes et en paroles

Depuis plusieurs années, Auxilia accompagne divers schémas de développement des énergies renouvelables (SDEnR), auprès de collectivités de tailles diverses (Orléans métropole, Communauté d’agglomération Val de Garonne, CC de l’Ernée, PNR Gâtinais français, CA Paris Saclay, Eurométropole de Strasbourg…). Derrière ces démarches et cet acronyme, nous avons voulu en savoir plus en interrogeant l’un des chefs de projets experts du sujet, Edgar Brault. Entretien mené par Samuel Sauvage.

Votre auteur et interlocuteurSamuel SAUVAGE

Samuel SAUVAGE

Directeur de projets Economie circulaire et Numérique responsable

Bonjour Edgar. Les débats autour de l’énergie apparaissent de plus en plus tendus. Comment ce contexte pèse-t-il sur les schémas de développement des énergies renouvelables ?

Bonjour ! C’est vrai que le sujet énergétique est de moins en moins apaisé, mais en même temps, l’intérêt pour le sujet n’a jamais été aussi fort ! Dans les SDEnR, nous insistons sur l’importance de développer les énergies renouvelables (EnR), dans un contexte où la production énergétique française tend à devenir insuffisante pour couvrir nos besoins. Les EnR ont été fortement dénigrées ces dernières années, et en particulierl’éolien qui a soulevé une opposition vigoureuse et de plus en plus structurée, comme l’a montré récemment un excellent article de Libération (voir l’article). Ainsi, une partie importante de nos missions consiste à neutraliser les pré-notions négatives en modifiant certaines idées reçues sur les EnR, sans pour autant ignorer leurs défauts et limites, avec la mobilisation de techniques d’animation qui permettent de prendre du recul en toute objectivité.

Par exemple, pour réussir à poser un débat de qualité, nous sommes trois chez Auxilia à être formés à la méthode d’animation Energie Mix développé par ECLR (Énergies Citoyennes Locales et Renouvelables en Occitanie). L’approche est très intéressante, car elle permet d’abord de poser les bases des consensus que partagent différents scénarios d’évolution du mix énergétique (ADEME, RTE, Negawatt), et d’échanger sereinement sur des controverses récurrentes. Nous mobilisons également mon collègue Colin Lemée, docteur en psychologie sociale, sur l’acceptabilité de projets déjà bien engagés et qui soulèvent un vif débat.

Ces approches nous permettent donc de créer un environnement de concertation objectif et dépassionné.

Revenons aux bases : peux-tu d’abord nous expliquer quels sont les objectifs d’un SDEnR ?

Tout d’abord, un SDEnR implique de réaliser un état des lieux de la capacité de production d’EnR d’un territoire et de caractériser le potentiel de production de chaque filière à horizon 2030. Ensuite, les SDE visent à porter à la connaissance des élus ces éléments et à les amener à définir un cap, à travers un mix énergétique cible pour 2030. Ce n’est pas un objectif engageant (pour l’instant), mais il permet de se mettre d’accord sur ce qui est souhaité ou rejeté, et surtout de suivre l’évolution réelle du territoire par rapport à cette trajectoire cible. Une fois que cette trajectoire quantitative est fixée, tout le défi consiste à faire « atterrir » ces projections par l’engagement d’un plan d’actions avec des objectifs opérationnels (installation de X éoliennes ou panneaux photovoltaïques…) et transverses (sensibilisation, formation, communication). Au final, les SDEnR permettent d’apporter un angle de vue plus précis que les Plans Climat sur le volet de la production énergétique et les rendent ainsi plus concrets.

Concrètement, est-ce que les SDEnR peuvent aller jusqu’à définir la localisation des projets énergétiques ?

C’est de plus en plus le cas ! Les SDEnR incluent souvent une pré-localisation des projets, pour une raison simple : la loi d’accélération des énergies renouvelables (promulguée en mars 2023) demande aux collectivités de définir les zones d’implantation des énergies, et les SDEnR sont justement un bon moyen d’amorcer cette localisation. En principe, les communes devront ensuite définir une concertation à leur échelle sur ces zones, avec un délai légal de 6 mois.

Atelier cartographie dans le cadre d'un SDEnR x AuxiliaPour réussir ces schémas, est-ce que vous avez des partis-pris ou des conseils à donner aux collectivités ?

Nos approches peuvent varier, mais globalement je pense que nous pouvons afficher trois grands partis-pris. Premièrement, nous présupposons que le territoire atteindra l’autonomie énergétique en 2050, sans recourir aux énergies issues de ressources fossiles (et donc sans énergie électronucléaire). Cela implique un effort drastique de réduction des besoins, en même temps qu’une montée en charge de la production locale électrique et thermique. Ce parti-pris n’est pas propre à Auxilia mais commun à tous les SDEnR réalisés par les collectivités. Il est pourtant primordial de le rappeler : pour lutter contre le dérèglement climatique, être plus résilients collectivement et permettre aux EnR d’être compétitives, la planification d’une sobriété ambitieuse est incontournable.

Deuxièmement, nous soutenons les énergies renouvelables citoyennes, car c’est un levier de développement local, de réappropriation des appareils de production énergétique et d’acceptabilité des projets. C’est particulièrement vrai pour l’éolien : un projet éolien doté d’une part significative d’investissement citoyen et d’une gouvernance partagée avec un ou des collectifs locaux a autrement plus que de sens qu’un projet dit classique ! En pratique, nous conseillons souvent aux collectivités d’identifier quelques projets ou filières sur lesquelles « mettre le paquet », à la fois financièrement mais aussi en termes d’ingénierie humaine.

En dernier lieu, notre rôle est également de sonner l’alarme face à la doxa du « tout-électrique ». L’électrification des usages est certes une des clés pour décarboner nos modes de vie et limiter le réchauffement climatique, mais n’est pas systématiquement la bonne solution. Le réchauffement climatique et les pointes saisonnières vont générer des besoins massifs de chauffage et/ou de climatisation. Dans ces situations, produire du chaud ou du froid en passant par le vecteur électrique, c’est loin d’être optimal. Il reste plus efficace de mobiliser la chaleur du soleil ou du sous-sol pour chauffer un liquide caloriporteur qui transmettra directement des calories à nos logements et bureaux, sans passer par une résistance et perdre de l’énergie de conversion. C’est dans ce sens que nous insistons régulièrement sur l’intérêt économique et écologique du solaire thermique – à bien distinguer du photovoltaïque – malgré les difficultés rencontrées par cette filière.

On imagine qu’il peut être difficile d’arriver à une vision partagée. Qu’est-ce qui te parait le plus intéressant dans ces accompagnements ?

Justement, les SDEnR réussissent généralement bien à mobiliser les élus et la société civile. A la fin, nous obtenons une vision collective sur le mix énergétique cible, à l’aide d’un atelier qui est toujours très apprécié : dans cet atelier, les participants ajustent les curseurs entre les énergies, ce qui permet une appropriation des enjeux et une responsabilisation.

Nous avons également des formats de sensibilisation qui fonctionnent bien, notamment des enquêtes sur l’acceptation des EnR ou encore l’atelier « Energie Mix » que j’ai déjà évoqué.

Au vu des épisodes énergétiques connus en 2022, est-ce qu’on aurait dû anticiper tout cela dès le début des années 2000 ?

L’anticipation du mix énergétique n’est pas nouvelle, et même avant la première Planification Pluriannuelle de l’Energie en 2016, l’Etat commandait des rapports stratégiques notamment à ses opérateurs (RTE, ENEDIS, etc.). Cela n’empêche pas l’Etat français d’être grandement en retard (seul Etat Européen n’ayant pas atteint ses objectifs de développement des EnR, ce qui va nous coûter collectivement cher…1). Mais la grande nouveauté et une source d’espoir, c’est la planification à l’échelle locale, qui n’était envisagée que par certains élus moteurs et militants jusqu’à très récemment. Je pense effectivement qu’il aurait été utile d’élaborer les SDEnR en même temps que les plans climat, dès 2015. Nous avons probablement perdu du temps. Mais le travail effectué aujourd’hui permettra sans doute de mieux se préparer à la décennie 2030, car les défis de 2030 ne promettent pas d’être plus simples que ceux connus l’année dernière !

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