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En 2022, le « McKinsey Gate » a mis les cabinets de conseil sous les feux des projecteurs. Si cette dénonciation a été utile, peut-on mettre toutes les structures de conseil dans le même panier ? Quelles sont les interventions légitimes et les pratiques contestables des cabinets de conseil ? Pour y répondre, nous avons souhaité interroger Nicolas Bataille, auteur d’une thèse à la frontière entre sociologie et aménagement consacrée aux « Experts et consultants au service de l’action publique locale » et chef de projet et Bertil de Fos, directeur général, tous deux chez Auxilia.

Propos recueillis par Samuel Sauvage, Directeur Economie circulaire et Numérique responsable, Auxilia.

Votre auteurNicolas BATAILLE

Nicolas BATAILLE

Chef de projets et docteur en sciences sociales
Votre auteurSamuel SAUVAGE

Samuel SAUVAGE

Directeur de projets Economie circulaire et Numérique responsable
Votre interlocuteurBertil DE FOS

Bertil DE FOS

Directeur général

Commençons par une question d’ordre personnel : pourquoi vous êtes-vous engagés dans le conseil ?

Nicolas : Je dirais qu’il y avait chez moi une volonté de faire avancer la transition sociale et écologique, tout en découvrant une variété de missions, une variété de territoires. Pour moi, il était important aussi de m’engager dans une structure associative ou à caractère social pour garantir un travail au service de l’intérêt général et l’action publique… tout cela m’a mené chez Auxilia.

Bertil : je partage tout à fait les motivations de Nicolas… J’ajouterais juste que je trouve passionnante l’action publique, qui est caractérisée par son niveau de complexité. Et puis, après avoir passé 10 ans dans l’industrie, j’avais envie d’être davantage au service de l’intérêt général.

Nicolas, tu as étudié de près les cabinets de conseil, leurs méthodes, leur ethos… Quelles critiques, formulées notamment lors du « McKinsey gate », trouves-tu pertinentes à leur égard ?

Nicolas : Le débat sur les cabinets me semble tout à fait légitime, au vu des sommes en jeu et des abus constatés dans un contexte de généralisation de la sous-traitance du public vers le privé. Clairement, il y a certains travers qui méritent d’être questionnés : le manque de transparence sur le budget (facturation au-delà des jours réellement produits), la proclamation d’une expertise tous azimuts, un rapport ambigu avec la décision ou encore la pratique du copier-coller entre les missions. Cela dit, sur ce dernier point, je constate aussi que la demande des collectivités est souvent de s’inspirer de ce qui s’est fait ailleurs ! Là où je trouve que le débat a été un peu biaisé, c’est quand on a réduit l’utilité des consultants à leurs livrables, en disant « ils ont facturé X milliers d’euros pour un rapport de 10 pages »… En réalité, les consultants ont bien d’autres fonctions : être un tiers de confiance, fluidifier un jeu d’acteurs, sensibiliser ou former les équipes, rassurer le client, apporter des retours d’expériences, traduire le cadre légal, aider à décider, etc.

Bertil : Je me méfie toujours des catégories fourre-tout. Le milieu du conseil est très disparate : nous avons à la fois des multinationales, inscrites dans un capitalisme financier qui pose de nombreux problèmes, et qui représentent environ la moitié du marché. Mais nous avons aussi des entreprises sociales comme Auxilia, des coopératives, des petits cabinets très ancrés sur leur territoire, des indépendants… Les pratiques dénoncées par le rapport sénatorial (missions pro bono intéressées, conflits d’intérêts, prix des prestations, pantouflage, standardisation à l’extrême) ne sont pas celles de tous les acteurs, heureusement !

On croit voir de quel côté penche Auxilia… Plus précisément, en quoi votre approche du conseil permet-elle d’éviter ces écueils ?

Bertil : Il y a d’abord une différence liée à notre statut (quasiment unique en France pour un cabinet de conseil) d’association à but non lucratif. Ce statut permet de garantir que toutes nos ressources sont destinées à remplir notre mission, c’est-à-dire accompagner au mieux la transformation écologique des territoires. Cela se traduit par des tarifs très différents de ceux épinglés dans le rapport sénatorial: nos directeurs de projet, dont certains ont plusieurs dizaines d’années d’expérience, sont vendus au tarif d’un consultant junior chez certaines multinationales ! De plus, nous voulons accompagner tous les territoires, y compris les plus ruraux, qui ont des petits budgets, sur des missions globalement moins rentables, ce que ne font pas certains cabinets. Enfin, nos méthodes interdisent d’avoir une forte standardisation, car elles se basent principalement sur la co-construction avec les acteurs. Nous passons ainsi beaucoup de temps sur le terrain, notamment pour faire travailler les acteurs du territoire ensemble, ce qui est beaucoup plus chronophage, mais aussi beaucoup plus intéressant ! Au final, nous accompagnons le changement en mobilisant les acteurs, ce qui prend du temps.

Nicolas : J’ai observé, dans ma thèse, que la pratique récurrente des grands cabinets est d’avoir un grand nombre de missions standardisées, ce qui dégage une forte rentabilité, et quelques missions innovantes pour asseoir leur notoriété. Je ne suis à Auxilia que depuis 2 ans, mais j’ai l’impression qu’à l’inverse, nous sommes en recherche permanente de missions innovantes ! Une autre différence d’approche que je vois, ce sont les profils que nous mobilisons avec de nombreux docteurs et quelques profils atypiques, et le temps que nous consacrons à notre réflexion pluridisciplinaire au sein du Labo du changement.

Dans un contexte politique où les services publics sont parfois mis à mal, comment percevez-vous le rôle croissant des cabinets de conseil ? Y a-t-il, comme certains l’affirment, un risque de privatisation rampante du secteur public au profit des consultants ?

Nicolas : C’est une question compliquée dans un contexte désormais ancien de réduction des compétences et moyens du public, qui représente en effet un vrai risque pour l’intérêt général. Je pense qu’il faut insister sur la complémentarité des rôles pour que chacun reste à sa place : il y aura toujours besoin de fonctionnaires, et le besoin de consultants s’affirme. D’ailleurs, les missions réussies sont souvent celles qui reposent sur un bon portage de la part d’un technicien compétent. L’enjeu est le transfert de compétences vers les collectivités, en donnant les clés aux pouvoirs publics de continuer leur mission sans avoir besoin de l’appui du cabinet de conseil. Mais le danger, c’est la pression qui pèse sur le budget de fonctionnement des collectivités, qui sont incitées à externaliser plutôt qu’à recruter en interne. Là, ce sont de vrais choix que nous avons tendance à combattre.

Bertil : En effet, mais notre travail consiste bien souvent à créer les conditions pour que la collectivité se donne les moyens de ses ambitions. Souvent, nous sommes sollicités pour des démarches inédites pour lesquelles la collectivité ne disposent pas des compétences, comme des stratégies d’économie circulaire. Mais à l’issue de notre accompagnement, la collectivité décide de se renforcer sur le sujet et elle recrute un chargé de mission. Il y a aussi de nombreux cas où le consultant sécurise l’action publique : une étude de la SCET pour la Banque des Territoires en 2022 montrait que pour 1€ investi en ingénierie sur le programme Action Cœur de Ville, 117€ d’argent public étaient sécurisés. D’autant qu’il y a plein de bonnes raisons de recourir à un prestataire externe, comme le rappelait Nicolas au début de l’entretien, à commencer par l’intérêt d’avoir recours à des expertises pointues (des designers, des psychologues sociaux, des experts de l’aide alimentaire, etc.) que toutes les collectivités n’ont pas nécessairement intérêt à internaliser !

Dans ce contexte, comment renouveler positivement la relation entre collectivités et prestataires ?

Nicolas : A mon sens, il faudrait s’atteler à optimiser le système actuel de réponse aux appels d’offres et travailler sur la réduction des « coûts de coordination ». Les réponses, souvent trop longues pour être véritablement lues, sont chronophages, ce qui se répercute nécessairement sur les prix payés par les commanditaires. Le budget qui en résulte est estimé avec des informations partielles, ce qui constitue un cadre ensuite rigide qui engendre d’importants coûts de coordination voire des tensions. Un nouveau contrat de partenariat est à construire, avec davantage de souplesse, tout en gardant la mise en concurrence et la protection de l’acheteur public.

Bertil : Cette question renvoie en effet à celle de la confiance qui se construit. Nous le voyons, les collectivités qui nous connaissent ont tendance à vouloir retravailler avec nous car elles savent qu’elles peuvent nous faire confiance. Pour moi, c’est aussi parce que nous partageons des valeurs. En ce sens, le souci de l’intérêt général, attesté par des statuts (association, ESUS, entreprises à mission, structures à lucrativité limitée…), devrait être davantage reconnu par les collectivités. C’est ce que je j’appelle « l’intérêt général by design », qui crée un terrain commun pour collaborer.

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