Éco-anxiété, de quoi parle t-on ?

L’éco-anxiété englobe un ensemble de manifestations psychologiques et de comportements qui vont bien au-delà d’une simple appréhension. Ainsi, si elle se construit généralement chez l’individu à mesure qu’il acquiert des connaissances sur le dérèglement climatique, diverses émotions expriment cette anxiété : colère, retrait, détresse, tristesse, mélancolie… il s’agit, dans tous les cas, d’une perception cognitive et d’une difficulté ou d’une crainte à se projeter dans un futur non-souhaitable.

La psychothérapeute Charline Schmerber parle de « détresse prospective ». Et la communauté des professionnels de la santé mentale d’alerter sur un phénomène récent mais qui gagne en puissance. En effet, son ampleur se renforce avec la diffusion des connaissances scientifiques et la prise de conscience qui l’accompagne au sein du grand public, sur les données et les enjeux climatiques. A ce titre, le profil-type sujet à l’éco-anxiété serait une femme, jeune, urbaine et instruite.

Votre auteur et interlocuteurColin LEMEE

Colin LEMEE

Chef de projets Accompagnement du changement

Si l’on s’en tient à cette définition (trop) stricte d’un concept encore nouveau, elle est logiquement peu adaptée aux populations précaires. Pourtant, les populations qui ont moins accès à l’information ou le temps de s’y intéresser, sont aussi celles qui se trouvent déjà aux prises avec les manifestations et conséquences du changement climatique et se sentent – à juste titre, laissées pour compte.

Il s’agit là d’un biais important, à savoir que ce sont aussi des populations qui consultent moins les psychologues pour exprimer leur situation, n’ont pas les ressources de se mobiliser en collectif ou de manifester et font l’objet de moins d’enquêtes dans les médias et dans la recherche scientifique.

Un quotidien aux prises avec les conséquences du dérèglement climatique.

Livreurs Uber en scooter exposés aux canicules et aux épisodes de pluie ravageurs, retraités vivant dans des passoires thermiques, résidents isolés des territoires de hautes montagnes qui voient leur environnement changer de manière irréversible… Autant de publics vulnérables, surexposés aux températures extrêmes, aux épisodes de pollution de l’air, aux inondations ou aux sécheresses. Pour eux, le chemin n’est pas long pour mettre en lien ce qu’ils vivent au quotidien et un changement climatique global. Si leur éco-anxiété ne s’exprime pas chez le psychologue – et passe donc sous les radars, ils la vivent dans leur chair.

Le chercheur en économie Lucas Chancel a coordonné la rédaction du récent « Rapport sur les inégalités mondiales ». Il souligne le lien entre inégalités économiques et environnementales. Il rappelle que ce sont ceux qui ont les plus faibles revenus qui ont paradoxalement beaucoup moins d’impact environnemental et moins de marge de manœuvre pour se protéger ou modifier leurs comportements. Ainsi, si certaines de leurs pratiques font l’objet d’une focalisation dans le débat médiatique, notamment la possession de voitures polluantes alors que la plupart de leurs trajets en voiture sont subis (pour ceux qui ont les moyens d’avoir une voiture) ou la consommation de produits de consommation à bas coût importés.

Difficile, pour ceux qui subissent d’importants trajets en voiture pour rallier leur lieu de travail au quotidien d’accepter sans colère l’instauration de Zones à faible émission mobilité quand ils n’ont pas d’autres options de déplacement. Les aides pour l’achat d’un vélo électrique ? Le reste à payer est inentendable pour ceux qui ont du mal à finir le mois. L’inadaptation des programmes augmente la sensation des publics précaires d’être mis au ban de la société.

Vers des programmes d’accompagnement ciblés et la formation des intermédiaires.

Plusieurs pistes existent pour mieux considérer l’éco-anxiété des publics précaires et, plus largement, les accompagner dans leurs problèmes quotidiens face aux conséquences du changement climatique. Nous l’avons dit, l’éco-anxiété étant un concept relativement nouveau. Les professionnels de la santé mentale sont aux avant-postes pour analyser.

  • Premier problème à adresser : les études jusqu’ici menées par les psychologues ou les chercheurs en psychologie se font majoritairement par Internet. Elles mobilisent donc un public qui a le temps d’y répondre et qui a le bagage culturel pour remplir un questionnaire sur la santé mentale sans se sentir stigmatisé. Des psychologues et des médecins se mobilisent actuellement pour créer un “réseau francophone de professionnels de l’accompagnement face à l’urgence écologique”. Il pourrait être intéressant qu’y soit développé des études et des programmes d’accompagnement dédiés à ces publics.
  • Second problème à adresser : les professionnels de terrain qui captent les angoisses – ces psychologues mais aussi les associations d’aides aux plus démunis, les fonctionnaires de terrain, les professeurs des écoles, etc., n’ont pas forcément toutes les clés de compréhension sur les enjeux climatiques pour pouvoir répondre aux questions des publics. Le déploiement de formations sur l’environnement pour ces intermédiaires est primordial.
  • Un autre axe de travail concerne les programmes d’accompagnement à la transition environnementale – des logements, de la mobilité, des consommations, etc. Prenons la rénovation énergétique. Pour bénéficier des aides de l’État, il est nécessaire d’être propriétaire (un locataire peut entreprendre à ses frais les travaux de transformation nécessaires, mais ne bénéficiera pas d’une remise de loyer), d’être lettré, à l’aise avec les démarches en ligne, en mesure d’avancer de l’argent, etc. Pour les publics précaires, cela peut être insurmontable et angoissant. Par ailleurs, les questions environnementales sont souvent traitées en silo dans les programmes d’aide, or il s’agit là de problématiques systémiques sur lesquelles il conviendrait d’apporter aux acteurs des territoires et aux associations des informations de qualité, pratiques et considérant l’ensemble des aspects du quotidien. Les outiller pour qu’elles puissent apporter des solutions à tous les publics et notamment à ceux qui ont un budget ou des ressources sociales extrêmement limités.

À ce titre, un exemple inspirant a été initié au Canada : à la suite d’une inondation dans un quartier défavorisé de Rigaud, près de Montréal, un Bureau d’urgence a été monté dans lequel des psychologues, des assistants sociaux, etc. écoutaient et orientaient les résidents, leur épargnant de nombreuses démarches administratives. Sans attendre de tels drames, il serait intéressant d’imaginer en France un bureau mobile qui se déplace au sein des quartiers où vivent des publics précaires ; un bureau où experts de la santé, du social et de l’accompagnement aux transitions environnementales seraient présents pour aiguiller et répondre à ces situations complexes.

D’autres pistes sont à creuser, mais en tout état de cause, il convient d’anticiper et de se mobiliser sans attendre afin d’éviter le décrochage complet des publics les plus précaires et l’augmentation des inégalités sociales et en santé environnementale.

Une tribune de Colin LEMEE, docteur en psychologie environnementale et chef de projet chez AUXILIA, publiée dans la newsletter d’Auxilia de novembre – Réveiller nos futurs.

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