Il était coutume dans l’écosystème du numérique responsable de distinguer les deux grandes transitions du XXIème siècle, à savoir la transition numérique et la transition écologique. La première constituait un moyen neutre, la seconde un objectif d’intérêt général.
Certes. C’était peut-être oublier un peu vite l’héritage des penseurs pionniers de l’écologie, tels qu’Illich ou Charbonneau selon qui la technique n’est jamais « neutre », qu’elle tend à déposséder et à se nourrir elle-même dans un processus sans fin.
« L’outil simple, pauvre, transparent est un humble serviteur ; l’outil élaboré, complexe, secret est un maître arrogant » – Ivan Illich.
L’urgence écologique et sociale ne peut oublier le numérique
C’était surtout oublier que notre époque déjà appelle un changement de braquet. La douce « transition » écologique ne suffit pas lorsque l’on sait qu’il faut diviser par six notre impact carbone ou par trois notre empreinte écologique. Dans ce monde, le « moins » a plus de sens que le « plus » et le numérique ne peut échapper à cette redirection. Il ne peut y échapper car la dynamique de ses impacts est préoccupante. Le “numérique”, que l’on peut considérer comme l’ensemble des infrastructures, équipements, données et usages qui en sont faits, représente aujourd’hui 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) et 2,5 % de l’empreinte carbone au niveau national. C’est un secteur dont l’empreinte carbone devrait augmenter de manière exponentielle (il pourrait augmenter de 60 % d’ici à 2040). Surtout, son impact sur la raréfaction des ressources, avec son faible rendement en matières (voir notamment les 250 kg de matières nécessaires à la fabrication d’un ordinateur) est dramatique tant ces mêmes ressources sont vitales et difficilement recyclables.
Le Green IT, c’est-à-dire la réduction des impacts environnementaux du numérique, est donc un passage obligé de même que le Low Tech. Comme souvent, le « moins » doit évidemment s’articuler avec le « mieux » car certains usages ou systèmes numériques contribuent indéniablement à une société plus écologique et solidaire. Les promesses de ce que l’on appelle l’IT for green, avec le déploiement de l’opendata ou encore de l’intelligence artificielle dans certains secteurs (voir notamment notre étude ici) appellent à promouvoir un déploiement numérique au cas par cas si tant est que les effets rebond soient correctement appréhendés.
Une juste place du numérique
La question écologique n’est pas la seule à remettre en cause la toute-puissance du numérique : sur le plan social, des pans entiers de la population se retrouvent impuissants face à la dématérialisation des services publics. Comme nous l’avions mis en évidence lors de notre recherche action Capital numérique, plutôt qu’une fracture qui opposerait inclus et exclus du numérique, les usages du numérique sont composés d’un continuum de pratiques numériques riches où se reflètent des inégalités quant à l’activation des opportunités qu’elles ouvrent. Il convient donc de penser le numérique depuis les usages réels qui en sont faits dans une perspective d’inclusion – notamment face à la dématérialisation des services publics – et de capacitation. Une « juste place du numérique » doit ainsi être trouvée, y compris pour lutter contre les phénomènes de surexpositions aux écrans et aux addictions qui y sont liées.
Des collectivités « responsables »
Or qui peut raisonner le déploiement du numérique ? Qui peut l’orienter vers l’intérêt général (Tech for good) si ce ne sont les pouvoirs publics ? Les collectivités ont d’abord une responsabilité quant à leurs achats et à leurs pratiques. Avec leur poids économique majeur sur la plupart des territoires, elles peuvent faire la différence en allongeant la durée de vie de leurs équipements, en achetant reconditionné, en organisant la réparation, en utilisant des datacenters optimisés, en sensibilisant à des usages sobres, etc.
La démarche menée avec la ville de Lyon (stratégie de numérique responsable appliquée à ses services d’administration) en partenariat avec la FING, montre l’étendue des actions possibles. La responsabilité dépasse cependant le cadre interne des pratiques numériques : elle touche l’économie des territoires. Ainsi, les collectivités peuvent participer à la constitution de filières d’avenir dans leurs territoires.
Les plans d’actions d’économie circulaire des collectivités que nous avons accompagnées (Ville de Paris ou Angers Loire Métropole, entre autres…) ou les missions spécifiques autour de ces filières (Nantes Métropole) ne s’y sont pas trompés en intégrant des actions claires en faveur du numérique responsable. De même que via Chronos, nous avons ardemment contribué à la réflexion sur la gestion territoriale de la donnée (voir notamment nos explorations DataCités 1 et 2 ou Capacities…), il est nécessaire d’engager les collectivités dans de véritables stratégies de numérique responsable qui interrogent tous les services numériques portés ou soutenus par la collectivité notamment dans le cadre de la Smart City.
Les politiques publiques doivent naviguer sur une ligne de crête difficile à manœuvrer : comment démocratiser l’accès au numérique tout en réduisant l’empreinte environnementale ? Cette question fait appel à des enjeux politiques et nécessite d’être mise collectivement en débat.
Une obligation légale pour les collectivités
L’évolution du cadre législatif marque une prise de conscience salutaire sur ces enjeux. La loi REEN de novembre 2021 relative à l’élaboration d’une stratégie numérique responsable cherche à orienter le développement numérique actuel des territoires vers plus de durabilité. En effet, elle impose à partir de 2025 aux collectivités et EPCI de plus de 50 000 habitants, la mesure et la réduction des impacts environnementaux du numérique de leur organisation et de leur territoire. Elle dessine de nouvelles obligations pour les collectivités – réalisation d’un bilan de l’impact du numérique et de ses usages sur le territoire, définition d’une stratégie numérique responsable, organisation de filières de réemploi des terminaux…- qui les invite à questionner leurs pratiques numériques et à se mobiliser rapidement pour répondre aux impératifs du numérique de demain. Et en effet, pour faire concrètement advenir ce « numérique responsable », il s’agit peut-être d’interroger avant tout le projet et le processus démocratiques dans lesquels il s’inscrit. Autrement dit, il nous faut éviter de penser le « numérique responsable » comme une formule performative : le numérique ne deviendra pas « responsable » de lui-même. Sa profonde transformation nécessitera au contraire l’engagement de différents types d’acteurs identifiant les responsabilités qui leur sont propres en matière de numérique, celles qui doivent être partagées, et leur articulation. Dès lors, l’application de la loi REEN ne pourra se limiter à un diagnostic et un plan d’action réalisé en silo. Les collectivités doivent s’emparer du sujet de manière transversale (en interne) et AVEC les acteurs du territoire.
En raison de cette urgence et de ce contexte, Auxilia s’engage actuellement avec son partenaire Resilio dans un grand Benchmark Green IT 2023 auquel entreprises et collectivités sont invitées à participer pour appréhender leur impact et préfigurer de premières actions.
Vous n’avez pas reçu notre invitation à y participer ? Contactez-nous !
Crédit illustration libre de droit unDraw.