Le « mur » du vieillissement : un enjeu à part entière au sein de la mobilité solidaire
En 2019, l’Insee projetait le passage de 2,5 millions de seniors en perte d’autonomie en 2015 en France à 4 millions en 2050¹. Ce chiffre illustre l’enjeu majeur du vieillissement de la population et figure un « mur » vers lequel nous avançons sans qu’une réelle anticipation de ses impacts dans plusieurs domaines, notamment en matière de mobilité, ne s’engage.
Le « senior » est un concept aux définitions variées, construites socialement selon les époques et les contextes² . Il peut, ainsi, désigner à la fois une personne confirmée sur le plan professionnel comme une catégorie d’âge dont les bornes sont souvent mouvantes. A titre d’exemple, l’âge pour bénéficier d’avantages tarifaires sur les réseaux de transports varie : pour la SNCF ces avantages démarrent à 60 ans ; sur le réseau Tisséo de Toulouse une distinction est faite entre les retraités de 62 à 64 ans et les seniors à partir de 65 ans ; en Ile-de-France, des tarifications spécifiques s’appliquent au pass Navigo à partir de 62 ans.
Les « seniors » en tant que catégorie d’âge recouvrent des situations plurielles, dépendantes de nombreuses variables : revenu, santé, lieu d’habitation, etc. Néanmoins, ils peuvent présenter des caractéristiques communes, renforcées par des effets de générations.
Ainsi, en matière de mobilité, les seniors présentent plusieurs caractéristiques :
- La voiture est le principal mode de transport des seniors, suivie par la marche et, dans une moindre mesure, les transports en commun comme en témoignent les résultats du Baromètre des mobilités du quotidien 2021³ ci-contre ;
- Des difficultés en matière de mobilité apparaissent à partir de 75 ans en moyenne, comme la « déprise automobile » liée à des problématiques de santé, ou encore des difficultés à marcher ou à rester debout ;
- Le nombre de déplacements et le périmètre de mobilité se réduisent progressivement, souvent en lien avec la déprise automobile, et peuvent mener certains seniors à renoncer à des déplacements en fonction des difficultés rencontrées ;
- Face à ces difficultés, la mobilité des seniors se connecte avec celle de leurs aidants et des services d’aide à domicile qui les accompagnent dans leur quotidien.
Des évolutions récentes accentuent ces éléments, comme la démocratisation de la voiture, le développement de modes de vie pavillonnaires ou l’émergence de nouvelles pratiques/évolutions dans la façon d’utiliser certains modes (ex : numérisation des titres de transport). L’attachement à la voiture est ainsi de plus en plus fort chez les seniors peu habitués à l’usage d’autres modes en évolution, en particulier chez la génération des baby-boomers « biberonnée » à ce mode de transport. Ainsi, « Les nouvelles personnes âgées sont plutôt devenues « captives » de leurs déplacements en voiture ⁴ » pouvant mener à des situations particulièrement sensibles en cas de déprise automobile, notamment en termes d’isolement et d’accès aux soins.
Dans le cadre de la mobilité solidaire⁵, l’enjeu des publics seniors est de plus en plus prégnant dans ce contexte de vieillissement de la population. D’après les projections de population de l’Insee, le nombre de personnes de plus de 60 ans pourrait augmenter de 80 % d’ici 2060, avec une augmentation forte jusqu’en 2035 puis une progression plus modérée. Une personne sur trois pourrait avoir plus de 60 ans en 2060⁶ . Sur les bassins de mobilité⁷ des Hauts-de-France, l’augmentation du nombre de personnes âgées de plus de 75 ans varie de 50 % à 80 % d’ici à 2040. Ainsi, le volume des personnes âgées rencontrant des difficultés de mobilité pourrait exploser à l’avenir et ainsi rendre critique les enjeux d’accès à la santé ou de maintien du lien social. Cette évolution en volume pourrait également impacter directement les services de transport en commun, avec une augmentation des flux en heures creuses susceptible de réinterroger la manière dont les réseaux de transports sont cadencés.
Ces éléments supposent d’anticiper les besoins et d’agir dès aujourd’hui. Auxilia s’y attelle dans le cadre d’une étude prospective sur la mobilité des seniors à horizon 2040 pour la DREAL Bretagne, où différents défis apparaissent et varient en fonction des typologies de territoire (rural, littoral, péri-urbain, etc.). Ces thématiques sont également adressées dans le cadre de l’élaboration des Plans d’Action en matière de Mobilité Solidaire⁸ à l’échelle des dix bassins de mobilités des Hauts-de-France, où les retours de terrain font ressortir cet enjeu.
Sans anticipation, le risque est de foncer droit dans le « mur » du vieillissement, qui vient se cumuler aux menaces liées au réchauffement climatique.
Les deux sujets nécessitent une réflexion commune et à long terme, en particulier dans le champ de la mobilité solidaire. Ils présentent des racines communes comme l’étalement urbain qui allonge les distances, a tendance à créer des zones monofonctionnelle/résidentielle, et rend souvent la voiture indispensable pour l’accès aux services et commerces. Cette dépendance à la voiture a autant de répercutions en matière écologique qu’en matière sociale, notamment sur le vieillissement. C’est pourquoi, les enjeux sociaux et environnementaux doivent être traités main dans la main et irriguer les chantiers actuels de la mobilité.
Allez plus loin en lisant les articles de nos experts.
GRAND FORMAT Mobilité : vers une compréhension élargie des publics vulnérables.
Rétrospectives de nos missions pour comprendre la mobilité solidaire.
Les Plans d’Actions communs en faveur de la mobilité solidaire.
¹ Khaled Larbi, Delphine Roy et al, 4 millions de seniors seraient en perte d’autonomie en 2050, Insee première, 2019.
² Mobilité des seniors en France, Laboratoire de la Mobilité Inclusive, 2014.
³ Baromètre des mobilités du quotidien, Wimoov et Fondation pour la nature et l’Homme, 2ème édition, 2021.
⁴ Joël Meissonnier. Mobilité : les papy-boomers dans une impasse ?. 2023. halshs-04129527
⁵ La mobilité solidaire correspond à l’ensemble des actions mises en œuvre pour rendre la mobilité accessible à tous, et en particulier aux plus vulnérables. En 2019, la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) a inscrit la compétence de “mobilité solidaire” dans les textes et affirmé le principe d’un “droit à la mobilité”. La LOM prévoit différents outils d’action sur ce sujet.
⁶ Nathalie Blanpain et al, Projections de la population à l’horizon 2060, Insee première, 2010.
⁷ La LOM définit une nouvelle échelle d’action : le bassin de mobilité, sur lesquels sont déployés les Contrats Opérationnels de Mobilité (COM) et les Plans d’Actions commun en faveurs de la Mobilité Solidaire (PAMS). Ces découpages territoriaux sont définis et délimités par la Région, en concertation avec les Autorités Organisatrices de la Mobilité (AOM), les Syndicats Mixtes et les Départements.
⁸ Le Plan d’Action commun en faveur de la Mobilité Solidaire (PAMS) est un outil prévu dans la LOM et co-piloté par la Région et les Départements. Les AOM et France Travail sont associés à la démarche. Le PAMS vise à travailler la mobilité solidaire à l’échelle d’un bassin de mobilité, et notamment à développer le conseil et l’accompagnement en matière de mobilité auprès des publics vulnérables.