Nappe de Beauce : une gouvernance partagée et pérenne d’un bien commun

Pendant près d’un an, Auxilia a accompagné la Commission locale de l’eau (CLE) du Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau (SAGE) de la Nappe de Beauce, l’une des nappes phréatiques les plus importantes de France en volumétrie. Le déploiement d’une large concertation a permis d’aboutir à une feuille de route partagée pour la gestion de la ressource en eau de la nappe. Nous revenons ici sur le contexte de cette mission et partageons notre retour d’expérience.

Votre interlocuteurArnaud THOMAS

Arnaud THOMAS

Consultant Eau & biodiversité
Votre interlocutriceStelly LEFORT

Stelly LEFORT

Directrice de projets Senior Eau & biodiversité et de l'agence de Bordeaux

Avec près de 10 000km², la nappe de Beauce est l’un des plus grands réservoirs naturels d’eau

Prenez une carte de France et reliez les villes d’Evry, Fontainebleau, Orléans et Chartres, puis imaginez une nappe d’eau souterraine recouvrant peu ou prou ce périmètre et s’étirant en sa partie sud-ouest en direction de Blois. Au total, la nappe s’étend sur environ 9 500 km² et parcourt 2 grands bassins hydrographiques (Loire Bretagne et Seine Normandie), 2 régions (Centre-Val de Loire et Ile-de-France), 6 départements (Loiret, Eure-et-Loir, Loir-et-Cher, Yvelines, Essonne, Seine-et-Marne) et 638 communes. Dominé par des paysages de plaines cultivées, la Beauce est communément appelée « le grenier à blé de la France ». Sa nappe phréatique ne se laisse pas appréhender facilement à l’œil nu. Seuls les cours d’eau en surface, directement alimentés par la nappe, témoignent de la présence de cet immense réservoir naturel sous nos pieds, 18 fois plus grand que le lac d’Annecy.

Il y avait urgence à redéfinir une feuille de route et à pérenniser sa gouvernance

La création du Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’Eau de la Nappe de Beauce et de sa Commission locale de l’eau (CLE) avait été amorcée dès la fin des années 1990 suite à d’importantes sécheresses afin de mieux gérer les prélèvements de la ressource. Le territoire a été, en France, l’un des premiers à expérimenter une gestion volumétrique fondée sur la définition de volumes prélevables pour l’agriculture. Mais récemment, cette gestion, essentiellement quantitative, apparaissait de moins en moins tenable au vu des évolutions réglementaires, du changement climatique et des attentes exprimées par une partie des acteurs locaux en matière de préservation des milieux aquatiques. Souvent étiqueté comme « un SAGE de nappe », le transfert de la compétence GeMAPI aux communes et leur groupement ouvre aujourd’hui la gouvernance de la ressource à de nouveaux acteurs portant des missions de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations. Par ailleurs, les conflits d’usages liés au partage de la ressource, accentués par le changement climatique, rendaient nécessaire une remise à plat des ambitions que se donne la CLE pour les prochaines années.

L’un des principaux défis de notre mission était donc, dans ce contexte, de fédérer les acteurs du territoire autour d’une vision et d’une feuille de route partagées. Le second défi de notre mission était d’engager un dialogue autour de l’évolution de la CLE et en particulier de ses financements et de sa structure porteuse, au moment même où le “Plan Eau” du gouvernement réaffirmait la nécessité de renforcer le rôle des CLE dans les territoires. Confronté au désengagement financier de la Région Ile de France depuis 2019, l’animation du SAGE a dû évoluer. Si les autres partenaires institutionnels et 4 syndicats de bassin ont jusque-là compensé ce manque – amorçant d’ailleurs une forme de financement statutaire que le portage actuel ne laissait pas entrevoir –, la pérennité du dispositif reste fragile. Alors que les acteurs locaux ont unanimement témoigné de leur attachement à cet outil de gestion intégrée au cours de l’état des lieux que nous avons réalisé, il leur est apparu indispensable de pérenniser et de renforcer l’animation du SAGE pour assurer une gestion équilibrée de l’eau à la hauteur des défis imposés par le changement climatique.

La mobilisation du territoire au service d’une feuille de route partagée

Dans cet objectif, nous avons mené une large concertation territoriale qui a impliqué au total 123 acteurs et 89 structures, publiques, associatives et privées (collectivités territoriales, services de l’Etat, usagers agricoles, industriels, associations). La réalisation d’un état des lieux, basée sur des entretiens semi-directifs et un questionnaire, puis une série d’ateliers, nous ont permis de recueillir les attentes locales en matière de gestion de la ressource en eau et de faire travailler les parties prenantes sur les enjeux pour la CLE et leurs opérationnalisations.


8 grands défis pour la CLE ont émergé de cette démarche :

  • Défi 1 Renforcer la gestion structurelle de l’eau pour réduire le recours à une gestion de crise
  • Défi 2 Garantir une eau potable en quantité et qualité pour la consommation humaine
  • Défi 3 Maintenir des niveaux d’eau soutenables pour les cours d’eau en exsurgence
  • Défi 4 Restaurer et préserver les fonctionnalités écologiques des milieux aquatiques et humide
  • Défi 5 Intégrer la gestion de l’eau et des risques dans la planification urbaine et l’aménagement du territoire
  • Défi 6 Développer, actualiser et diffuser la connaissance et l’information
  • Défi 7 Assurer une représentation équilibrée et une participation de l’ensemble des parties prenantes dont les EPCI
  • Défi 8 Susciter l’engagement des usagers économiques et industriels dans les objectifs du SAGE.

A l’issu de la concertation et basé sur les contributions des parties prenantes en ateliers, Auxilia a rédigé une feuille de route comprenant 15 fiches actions, recouvrant des thématiques aussi variées que la question de l’acquisition et du partage de la connaissance, l’accompagnement aux changements de pratiques, les modalités d’évaluation et de répartition de la ressource ou encore l’évolution du fonctionnement de la CLE.

Les « SAGE » de nappes : les Ovnis de la gestion de l’eau ?

Non seulement l’immense majorité des SAGE en France recouvrent des bassins superficiels, mais il y a aussi peu de cas comparable à la nappe de Beauce de par ses problématiques de nappes profondes et de par son étendue administrative. Ces singularités rendent sa gouvernance particulièrement challengeante, notamment du point de vue du portage, ses périmètres et son financement, et requièrent une forme d’innovation et de « bricolage institutionnel ».
Au cours de la sécheresse hivernale de 2023, la nappe de Beauce a connu, comme ailleurs, un rechargement moindre. Si les restrictions ont été moins sévères que sur d’autres territoires du fait des volumes conséquents contenus dans la nappe, les indicateurs de suivis montrent malgré tout des niveaux de rechargement à la baisse. Cette mission nous rappelle l’importance de préserver ces aquifères, d’autant plus sous-investis politiquement qu’ils sont invisibles et que leurs périmètres de gestion ne renvoient pas à des « territoires vécus ». Dans le cas de la Nappe de Beauce, l’interdépendance entre ce qui se passe sous terre et sur terre montre à quel point la gestion de la nappe et des milieux superficiels ne peuvent être décorrélée dans l’action publique territoriale. Pour les acteurs locaux, ces relations se matérialisent au quotidien à travers différentes problématiques (quantitatives, qualitatives). La prise en compte croissante de ces relations au sein de la CLE et dans la feuille de route n’est pas neutre, puisque cela suppose de ne pas gérer uniquement la ressource comme un stock mais de chercher à gouverner ces interdépendances.

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