Comment une politique publique de rénovation des bâtiments peut être rentable

Entretien avec Ziad Farhat, directeur de projet Énergie Climat, qui a accompagné Territoire d’Énergies 44 (TE44 anciennement SYDELA), le syndicat d’énergie de Loire-Atlantique dans un projet de mise en lumière de l’impact réel des projets de rénovation sur le plan budgétaire. Un retour d’expérience qui mériterait d’être largement partagé en France ! Échange mené par Samuel Sauvage, directeur de l’expertise Économie circulaire et Numérique responsable.

Votre interlocuteurSamuel SAUVAGE

Samuel SAUVAGE

Directeur de projets Economie circulaire et Numérique responsable
Votre interlocuteurZiad FARHAT

Ziad FARHAT

Directeur de l'expertise Energie & climat

Bonjour Ziad. Tu vas bien ? Est-ce que tu pourrais nous dire, pour commencer, dans quel cadre tu as travaillé pour le syndicat d’énergie de Loire Atlantique ?

Bonjour Samuel et merci de la question ! Il se trouve que TEE44 avait été lauréat et porteur d’ACTEE à l’échelle départementale, un programme national qui vise à accélérer la rénovation des bâtiments publics. Dans ce cadre, le Syndicat s’est engagé à accompagner les intercommunalités et communes rurales pour porter des projets de rénovation. C’est à ce titre qu’Auxilia a d’abord soutenu l’équipe de TEE44 à repérer les projets planifiés et les potentiels de rénovation de bâtiments publics dans les communes et intercommunalités. Cet exercice de repérage avait pour but d’identifier des grappes de projets de rénovation similaires pour lesquelles TE44 pourrait construire des actions collectives (diagnostics partagés, groupements d’achats, financements, etc.).

En complément, le Syndicat a ensuite soutenu la réalisation d’audits énergétiques des patrimoines bâtis des collectivités volontaires.

Jusque-là, tout va bien… Quel a été le problème ?

Il se trouve que trop peu de projets de rénovation aboutissent, pour des raisons souvent invoquées de temps de retours sur investissement trop long. Outre les problématiques techniques, il y a donc un enjeu à convaincre les services et les élu.e.s aux finances des collectivités !

Qu’avez-vous fait alors pour débloquer ce point ?

L’un des points cruciaux de l’argumentaire financier porte sur l’impact réel des projets de rénovation énergétique, y compris à court terme, en termes de capacité d’investissement de la collectivité. Or, pour déterminer cette capacité d’investissement, un indicateur-clé est celui de la capacité de désendettement, qui se mesure en années nécessaires à rembourser la dette. Quand celle-ci dépasse les 10 ans, les comptes de la collectivité sont observés de près. Dès lors, avec notre partenaire Finance Consult, nous avons construit un outil qui met en lumière l’impact du projet de rénovation sur la capacité de désendettement de la commune (et d’autres indicateurs financiers). Par exemple, si une commune rénove 5 bâtiments dans les 5 années à venir, quel est l’impact concret ? Nous avons simulé ces impacts sur une commune fictive et sur des équipements « type » (une école, une salle polyvalente, la mairie, la salle de sport, la bibliothèque) selon trois scénarios de rénovation (rénovation légère, moyenne et lourde).

Et quels ont été les résultats obtenus à l’aide de cet outil ?

Nous avons expérimenté cet outil en atelier avec les différents services et élu.e.s concerné.e.s (techniques et finances), issus de plusieurs communes et intercommunalités, et obtenu des résultats très intéressants. Dans la plupart des cas, les rénovations massives n’impactaient que faiblement la collectivité : elles affectaient peu la capacité d’investissement de la collectivité et ne plombaient pas la capacité de désendettement. A long terme, le projet générait des économies. Outre les forts niveaux de subventions mobilisables, les économies liées à la réduction de la facture énergétique sont considérables. Et encore, nous n’avons que partiellement intégré la flambée des prix de l’énergie afin de réaliser l’exercice selon des hypothèses prudentes !

D’ailleurs, certaines communes, suite à cette flambée, ont calculé les économies qu’elles ont réalisées grâce aux projets de rénovation engagés il y a quelques années. C’est le cas de Malaunay, par exemple, qui a mis en exergue un « coût de l’inaction » de près d’un million d’euros par an !

Aborder le sujet sous l’angle principalement financier, n’est-ce pas inhabituel ?

Si, mais c’était nécessaire pour dénouer les contre-arguments souvent avancés à tort et sur lesquels les élu-e-s et technicien-ne-s engagé.e.s n’ont pas de prise. Cela permet d’élargir le cercle des convaincu.e.s à des acteurs qui ne sont pas toujours prêts à faire de la transition énergétique leur principal cheval de bataille. Il faut se rappeler que certaines communes connaissent des difficultés financières sévères, avec des mises en demeure, et on ne peut pas reprocher à leurs élu-e-s de vouloir réduire les dépenses.

Bien sûr, cela n’empêche pas, et c’est ce que nous avons fait lors des ateliers, d’évoquer tous les bienfaits de la transition énergétique sur le territoire : de la qualité de vie, le bien-être au travail, les emplois…

Revenons aux ateliers organisés autour de l’outil : quels ont été leurs impacts ?

La mise en dialogue de ces services a permis de discuter librement sur leurs contraintes. Il s’agissait, par exemple, de montrer les enjeux financiers des collectivités. Pour les plus grandes, qui avaient des directions financières structurées, elles ont par exemple apprécié de voir le niveau de subvention possible pour les projets. Cela a notamment prouvé que plus la rénovation est ambitieuse, plus le taux d’aide est important. De plus, ce travail a permis au Syndicat de structurer son travail pour les communes en ajoutant des argumentaires financiers qui feront mouche.

Quelles ont été les principales difficultés rencontrées pour cette mission ?

Selon moi, le plus gros point d’achoppement, c’est que la rénovation se pense sur un pas de temps important, au minimum de 6 à 7 ans. C’est d’ailleurs souvent le délai nécessaire pour voir la capacité de désendettement passer sous le seuil de la situation initiale grâce aux économies sur le facture. Or, ce temps n’est pas compatible avec le temps des mandats. C’est un enjeu qui nous a été rapportés à chaque atelier.

Face à cet écueil, un travail de pédagogie et d’éducation populaire en lien avec une politique ambitieuse de rénovation doit à mon sens être conduit. En effet, les habitant.e.s d’un territoire sont en mesure de comprendre le sens d’un investissement plutôt qu’un coût, qui implique un engagement financier qui deviendra payant à moyen terme.

Est-ce que ce travail t’a donné envie de devenir expert financier ?

Je n’irais pas jusque-là mais j’ai essayé d’inviter le plus de collègues possibles car cela fait partie selon moi d’un « bagage » nécessaire pour toute personne soutenant les politiques de transition énergétique. J’ai beaucoup appris sur le sujet !

Et maintenant… peut-on imaginer un partage de ces enseignements au niveau national ?

Oui, je pense que ce travail pourrait intéresser de nombreux acteurs en France. Nous l’avons présenté récemment au réseau des TEPOS (Territoires à énergie positive) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, et les retours ont été très encourageants. Evidemment, nous sommes partants pour animer des ateliers de sensibilisation sur d’autres territoires, en partant par exemple du cas type de la commune de Loire-Atlantique. J’imagine que les équipes du Syndicat d’énergie de Loire-Atlantique, avec qui nous avons eu une excellente collaboration (je les remercie au passage), souhaiteront également que ces travaux soient les plus utiles possibles à la transition énergétique.

Merci Ziad pour cet éclairant retour d’expérience.

Entretien mené en mars 2023.

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