Comment financer durablement la mobilité inclusive ? – Rapport d’étude

La mobilité inclusive est un maillon essentiel de la transition écologique et solidaire : chaque jour, plus de 350 structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) accompagnent les personnes en précarité mobilité vers l’emploi, la formation ou la santé. Jusqu’aujourd’hui, aucun travail d’analyse quantitative et critique du financement du secteur de la mobilité inclusive n’avait encore été mené à l’échelle nationale. Comment ces acteurs financent-ils leurs actions ? Quels sont les défis et les perspectives pour pérenniser et amplifier leur impact ?
Ces questions ont fait l’objet d’une étude menée par Auxilia, cabinet de conseil en transition écologique et solidaire, pour le Laboratoire de la Mobilité Inclusive.

Plongée dans un écosystème aussi vital que fragile.

Votre auteur et interlocuteurMarc FONTANES

Marc FONTANES

Directeur général adjoint en charge des expertises Mobilités ; Eau & biodiversité, Energie & climat

La mobilité inclusive [1], c’est d’abord une mosaïque d’acteurs : petites associations rurales dépendantes du bénévolat, structures intermédiaires intégrées au tissu local, et grandes organisations nationales dotées d’une ingénierie financière structurée. Leur métier ? Accompagner les publics en situation de précarité mobilité, soit entre 5 et 7 millions de personnes en France selon selon la 3ème édition du Baromètre des mobilités du quotidien [2] Wimoov réalisé par Auxilia et TMO, à l’aide de services de conseil, formation et accompagnement en mobilité, de location ou réparation solidaire de véhicules. En pratique, cet accompagnement permet à des personnes vulnérables d’améliorer leur capacité à trouver un emploi ou s’y maintenir – et donc de sortir d’une situation d’insertion –, mais aussi de se former, se soigner… Un véritable service public qui n’en a pas la reconnaissance, et s’appuie à plus de 90 % sur des associations loi 1901.
L’étude que nous avons menée montre que 18 % du budget de ces structures proviennent de l’autofinancement, un chiffre très proche du modèle économique du transport public, hors Ile-de-France. Il est donc parfaitement légitime que 71 % de leur budget soient financés par le secteur public, d’autant que les « clients » de la mobilité inclusive sont des personnes peu ou non solvables.

Un financement public majoritaire, mais incertain

Types de financement de la mobilité inclusiveEn 2024, les 364 structures recensées ont accompagné environ 200 000 personnes pour un budget consolidé de l’ordre de 150 millions d’euros. Un chiffre très modeste à l’échelle nationale : il équivaut à l’entretien annuel de 55 000 km de routes départementales ou à la construction de 5 km d’une ligne de tramway [3].
Les Conseils départementaux (31 M€), l’Etat (31 M€), les Régions (9 M€) et le bloc communal (16 M€) sont les principaux financeurs de la mobilité inclusive, aux côtés de l’Europe (19 M€ notamment via le Fonds Social Européen) et d’un financement privé relativement marginal (moins de 10 M€ : fondations, mécénat, certificats d’économies d’énergie).

Des obstacles structurels à la stabilisation du modèle économique de la mobilité inclusive

Si ces chiffres paraissent simples, la réalité est beaucoup plus complexe. Le financement de la mobilité inclusive est en effet un véritable patchwork. Les aides venues de l’Europe, de l’État, des Régions, des Départements, des fondations, des collectivités locales, nécessitent jusqu’à plus de cent lignes de financement différentes, et donc autant de dossiers administratifs pour une seule structure. Chaque aide change de critères, de montant, de priorités. Chaque financeur a ses règles, son public cible. Chaque structure a son modèle. Ainsi, les services, les statuts, les publics, les partenariats… tout varie, avec comme conséquences une instabilité chronique et une part incompressible de ressources humaines à y consacrer que nous avons chiffrée à 14 % des ETP du secteur – un budget qui n’est que très rarement intégré dans les lignes de financement obtenues.

Les avancées récentes en matière de mobilité solidaire à la suite de la Loi d’Orientation des Mobilités de 2019 renforcent la lisibilité du secteur mais ne portent pas encore leurs fruits en termes économiques. Les acteurs de terrain ont su aller chercher d’autres ressources comme les certificats d’économies d’énergie (CEE) ou quelques marchés publics. Mais la question de la pérennité et du développement reste entière.
Face à ces défis, la diversification des activités (formation, ateliers et entretien de flottes de véhicules, services aux entreprises) et l’hybridation des modèles économiques apparaissent comme des stratégies de survie, avec le risque qu’elles se fassent au détriment de l’accompagnement des publics les plus précaires.

300 millions d’euros supplémentaires pour passer à l’échelle

Parmi les recommandations de l’étude que nous avons menée, le triplement du budget annuel dédié à la mobilité inclusive figure en première place. Ce sont ainsi 300 millions d’euros supplémentaires qui sont nécessaires pour accompagner chaque année 600 000 personnes. Cette nette augmentation du volume du public accompagné permettrait en quelques années de toucher une plus large population fragile et de faire diminuer durablement la précarité mobilité.
Pour y parvenir, le secteur via sa capacité d’autofinancement et l’appui de ses financeurs publics historiques pourrait contribuer à hauteur de 50 millions d’euros. Nous suggérons par ailleurs que cette même somme soit pourvue par une nouvelle source de financement – le produit des amendes routières –, des sources déjà pratiquées mais à fort potentiel – fonds européens, CEE, mécénat – et enfin par la source de financement que nous considérons comme la plus naturelle, en l’occurrence le versement mobilité, que toute autorité organisatrice de mobilité a la possibilité de lever à condition de mettre en place a minima une ligne régulière de transport sur son territoire [4].

Adossée à une intégration systématique de la mobilité inclusive dans les délégations de service public des réseaux de transport urbain, interurbains et locaux ainsi qu’à un renforcement de l’ingénierie économique et financière des acteurs de la mobilité inclusive, cette évolution permettrait d’asseoir durablement un modèle beaucoup plus stable pour le secteur.

Depuis plus de 30 ans, les acteurs de la mobilité inclusive font la démonstration de leur utilité. Il ne leur manque plus que de pouvoir disposer de perspectives rassurantes.

Vous êtes une collectivité locale, un acteur de la mobilité ou de l’ESS ? Parlons-en ! Auxilia accompagne depuis plus de 20 ans les territoires dans le développement de modèles économiques solidaires et durables. Contactez Marc Fontanès.


[1] Le Laboratoire de la mobilité inclusive en donne une définition : Qui sommes-nous – Mobilité inclusive
[2] Baromètre des Mobilités du Quotidien Wimoov
[3] Le réseau viaire national représente 1 100 000 km ; 886 km de lignes de tramway étaient comptabilisés en 2023.
[4] Sources : Étude et synthèse « Quel financement pour la mobilité inclusive ? » – Auxilia pour le Laboratoire de la Mobilité Inclusive, novembre 2025

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