Pour un urbanisme de bac à sable : les aires de jeux collectives comme laboratoire de transition

La place des enfants dans la ville s’affirme progressivement comme un enjeu politique inscrit à l’agenda des collectivités. Le sujet bénéficie d’ailleurs de sa propre expression consacrée : au même titre que l’on “chausse les lunettes du genre” pour reconnaître et combattre les biais et inégalités de genre dans l’aménagement, élus et professionnels de la ville sont désormais invités à concevoir la ville “à hauteur d’enfants”. Depuis les élections municipales de 2020, on observe l’émergence de délégations spécifiques au sein des équipes municipales à l’instar de Lyon avec sa délégation à la “ville des enfants” ou de Rennes et son poste de “conseiller délégué à la ville à taille d’enfant”.

Votre autrice et interlocutriceAnastasia TYMEN

Anastasia TYMEN

Responsable de l'expertise Urbanisme

L’enjeu est éminemment transversal et se situe à l’intersection de nombreuses politiques publiques : le développement d’une ville plus hospitalière pour les plus jeunes appelle des changements dans le champ de l’habitat, de l’offre d’équipements et de services, de l’aménagement ou encore des politiques de mobilité. Toutefois, un objet urbain spécifique cristallise ces enjeux et ouvre des perspectives particulièrement prometteuses : ce sont les aires de jeux collectives.

Les aires de jeux collectives : ressources urbaines plus que jamais essentielles

L’une des préoccupations centrales qui justifient l’attention accordée aux enfants dans la ville concerne leur mobilité qui a sensiblement diminué au cours des dernières décennies. Les causes de ce déclin sont nombreuses et complexes mais l’explosion de la circulation automobile et les risques qu’elle fait peser sur les enfants jouent indéniablement un rôle important. Une cartographie, qui a beaucoup circulé lors de sa parution (en 2007), illustre particulièrement bien cette dynamique : elle permet de comparer le périmètre moyen qu’un enfant pouvait explorer seul à Sheffield (Grande-Bretagne) en 1919, 1950, 1979 et 2007. La conclusion est sans appel : ce périmètre s’est réduit à peau de chagrin. Cette évolution n’est évidemment pas sans conséquence du point de vue de l’autonomie, du développement et de l’épanouissement des enfants.

Ces observations ont été récemment réactualisées par Clément Rivière qui, dans son ouvrage « Leurs enfants dans la ville » (Presses universitaires de Lyon, 2021), met en évidence les mécanismes à l’œuvre dans la fabrication des «enfants d’intérieur».

De nombreuses collectivités sont déjà mobilisées pour reconquérir les rues et les rendre de nouveau praticables par les enfants. Mais cette reconquête est longue et loin d’être achevée. Dans ce contexte, l’aménagement d’espaces de liberté spécifiquement dédiés aux usages des enfants, et en particulier au jeu, s’avère indispensable. En effet, alors que plus de 80 % des enfants et adolescents français ne pratiquent pas les 60 minutes d’activité physique quotidienne recommandées par l’organisation mondiale de la santé (OMS), les aires de jeux collectives peuvent contribuer à lutter contre la sédentarité des enfants en cohérence avec la notion de design actif. Au-delà de leur dimension sportive, les aires de jeux constituent également des lieux de rencontre et de socialisation importants pour les enfants comme pour leurs accompagnants. Ces espaces ont une fonction sociale importante à l’échelle d’un quartier. Ils contribuent au développement du lien social et, in fine, à la cohésion et l’attractivité d’un quartier.

Des équipements de proximité à réinventer

Les aires de jeux collectives font figure d’équipements d’ultra-proximité désormais extrêmement répandus et présents dans une grande majorité de communes, quelle que soit leur taille. En se multipliant, ces espaces se sont également fortement standardisés : ouverts à horaires fixes, presque toujours clôturés, ils accueillent en général des équipements peu variés qui prescrivent des usages et mouvements répétitifs (glisser sur le toboggan, faire de la balançoire…) et ménagent peu de place à la créativité et l’imagination. Cette standardisation résulte notamment de la prise en compte des nombreuses normes de sécurité qui régissent leur conception (résistance, non-inflammabilité, non-conduction de la chaleur…). Elle traduit également une approche assez peu permissive du jeu avec une conception souvent davantage guidée par le souhait de maîtriser les risques (de chute notamment) que par la recherche de bien-être et de divertissement.

Usagers, paysagistes ou encore architectes et urbanistes sont de plus en plus nombreux à questionner la pertinence de ces équipements. Sommes-nous à la hauteur des besoins des enfants en leur proposant systématiquement les mêmes formules, en leur montrant comment ils doivent jouer et se comporter et en étant si peu permissifs ? L’aire de jeu standardisée que nous connaissons tous est-elle véritablement propice au bon développement physique, social et émotionnel de ses jeunes usagers ?

En 1931, le paysagiste danois Karl Theodor Sorensen est le premier à imaginer des espaces de jeux centrés sur les notions de permissivité, d’autonomie et de créativité en transformant un terrain vague de Copenhague en un espace où les enfants peuvent laisser libre cours à leur imagination en construisant eux-mêmes leurs supports de jeu avec des matériaux de récup (briques, boue, planches, clous, sable…).

Il lance ainsi le mouvement des Adventure Playground (terrains d’aventure) ou Junk Playground. Un principe qui s’est rapidement diffusé, principalement au Royaume-Uni et en Scandinavie.

De ces expériences il s’agit moins de retenir la forme finale (laisser jouer les enfants avec des clous rouillés ne paraît pas particulièrement souhaitable) mais plutôt la philosophie générale qui prône des jeux conçus par et pour les enfants et qui considère la prise de risque comme un moteur de l’apprentissage. Des partis-pris qui sont réactualisés par de nombreux architectes et paysagistes dans des réalisations contemporaines, notamment par l’agence BASE, maître d’œuvre de l’aire de jeu de Belleville (Paris 20e) : une aire de jeu réalisée au terme d’une démarche de concertation importante et qui sort des codes traditionnels en jouant avec la pente pour proposer des activités renouvelées (escalade…).

L’approche d’Auxilia : l’aire de jeu comme laboratoire de transition

Si Auxilia s’intéresse de près aux aires de jeux pour enfants, ce n’est pas (seulement) pour ce qu’elles racontent de notre rapport à l’enfance et à l’éducation. C’est surtout parce qu’elles constituent des espaces urbains uniques qui ouvrent de nombreuses possibilités pour les équipes municipales désireuses d’innover en matière d’aménagement durable.

Ces espaces, propices à l’expérimentation, sont de formidables terrains de jeux pour :

  • Tester de nouvelles pratiques de participation citoyenne et intégrer la maîtrise d’usage des habitant.es au projet. Un périmètre restreint, une commande claire, un sujet sur lequel les usagers sont véritablement experts, un résultat rapidement perceptible, la possibilité de prototyper certains aménagements par des installations légères : l’aire de jeux présente beaucoup d’attributs pour une démarche de co-construction réussie et rassurante, y compris pour une équipe municipale peu habituée à ces expériences.
  • Affirmer le quartier comme échelle de référence pour toute réflexion d’aménagement. Sauf exceptions (aires de jeux de destination qui peuvent attirer des usagers de toute la ville), les aires de jeux collectives sont, par définition, des équipements d’ultra-proximité. Travailler leur aménagement de manière ouverte, avec les habitant.es, permet de rappeler que la qualité de vie des résident.es constitue la boussole pour les choix d’aménagement de la ville. Le quartier, échelle de l’appartenance et de l’attachement constitue la bonne entrée pour penser la ville à taille humaine.
  • Expérimenter de nouveaux modes de faire en matière d’éco-aménagement. Toujours grâce à son périmètre restreint ainsi qu’à l’investissement final relativement modéré que représente une aire de jeux (par comparaison avec d’autres équipements municipaux), elle offre une occasion privilégiée pour faire des choix d’aménagement et de construction moins conventionnels tout en maîtrisant l’incertitude. Pour les équipements, pourquoi ne pas remplacer le plastique par des matériaux bio-sourcés ? Pour les sols, n’est-ce pas le moment d’oser la désimperméabilisation ? De tester de nouvelles formules de végétalisation ?
  • Réinventer notre rapport au vivant et aux cycles naturels. Ces espaces extérieurs ouvrent également la voie à une réflexion plus large sur le rapport que les habitants, enfants comme adultes, peuvent établir avec la nature. A Goteborg, en Suède, par exemple, la municipalité a mis en place une “Rain Playground”, c’est-à-dire une aire de jeux qui devient encore plus ludique lorsqu’il pleut pour encourager parents et enfants à sortir quelle que soit la météo et à multiplier les contacts avec l’eau, la terre, la boue…

Pour toutes ces raisons, Auxilia encourage les collectivités qu’elle accompagne à associer leurs plus jeunes habitant·es aux réflexions liées à l’aménagement. Cela permet de bénéficier de leur capacité d’émerveillement et, très souvent, de décaler le regard sur les usages souhaités de la ville. En tentant cette expérience autour de la conception d’un espace de jeu, les communes proposent un objet de co-construction concret, qui intéresse directement les enfants. Un sujet fortement mobilisateur donc, et qui permet de tester, à peu de frais, de nouvelles méthodes de faire ensemble, qui contribuent activement au vivre ensemble à l’échelle de toute la commune. Auxilia accompagne ce type de démarches au travers de missions d’assistance à maîtrise d’usage. Une ingénierie participative qui peut facilement s’adosser à une démarche de revitalisation par exemple, mais peut tout aussi bien trouver sa place dans d’autres contextes (démarches ad-hoc, développement de nouveaux quartiers…).

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