Résilience, une notion manipulable et manipulée
La résilience fait partie des nombreuses notions qui sont manipulées depuis des années avec plus ou moins de bonheur et d’efficacité, avec parfois des effets de mode, et leur corollaire : une forme de dissolution théorique de ces notions, à l’instar du développement durable – ou soutenable – au moins sur le champ politique. Le mot « durable » lui-même a perdu beaucoup de son sens, auprès de nombreux publics, du fait de sa récupération opportuniste par de nombreux acteurs, dans de nombreux endroits du monde. En réaction, on ne parle plus seulement de « développement durable » mais de « décroissance », de « résilience » (Gunderson et Holling, 2001). Ou encore de « transition écologique »… Cette dernière fait elle-même l’attention de débats sur son contenu, sur sa signification et l’intérêt de la rebaptiser (voir notamment les travaux de Bastien Marchand sur la « redirection écologique »).
C’est le cas de la résilience, dont l’origine se situe sur le champ des sciences physiques et naturelles (exemple des écosystèmes). Cette approche a été reprise par les sciences humaines et sociales pour enfin être reprise par des acteurs qui peuvent en avoir un usage moins purement scientifique, mais politique. Cet usage politique, très varié lui aussi (de la résilience des « Zadistes » à l’opération résilience de l’armée face à la crise du Covid), sert plusieurs objectifs comme fixer des priorités, induire des comportements, esquisser un cap, une mobilisation ou parfois « noyer le poisson »…
Buzzword et usage politique
Face à cet essor médiatique et politique, non linéaire, on peut observer une forme de disqualification de militants et, dans une moindre mesure, académique de la notion. Galvaudé à son tour, ce « buzzword » de communication ne permettrait pas de se comprendre, il ne permettrait pas de questionner, et donc d’être résilient face aux causes profondes du choc. Si, dans l’esprit de ceux qui la critiquent, la résilience permet bien d’aborder la problématique du réchauffement climatique et de l’effondrement du vivant, elle ne permettrait pas de dénoncer notre modèle de développement (productiviste, financiarisé, capitaliste…) qui en est à l’origine.
Si l’on tient à une approche technique de la résilience, et non plus politique, une question supplémentaire se pose : comment quantifier la résilience ? Cela nécessiterait de se confronter à une foultitude d’indicateurs, et de nombreux types de calculs : cela semble méthodologiquement très ambitieux, voire irréalisable, sans doute inutile. En conséquence, vaudrait-il mieux parler d’adaptation au changement climatique, plutôt que de résilience ?
L’adaptation, des petits pas à la rupture
En réponse, l’adaptation au changement climatique n’est pas une notion qui fait l’unanimité non plus. Elle a eu, et a encore du mal à s’imposer dans la lutte climatique, notamment parce qu’elle est difficilement quantifiable, qu’elle peut être vécue comme un échec – celui des politiques d’atténuation des émissions de GES, mais aussi car elle peut être confondue avec cette approche de l’atténuation : « si on réduit suffisamment nos émissions, plus besoin de politique d’adaptation ! »
Au cœur de cette définition, une problématique liée à la variété des approches de l’adaptation, de trajectoires plus ou moins ambitieuses, de l’incrémentation – « les petits pas » – à la transformation – la rupture avec le modèle de développement actuel en en modifiant les fondamentaux. En d’autres termes, est-ce qu’on change la date des vendanges ou est-ce qu’on change la viticulture ?
Des usages politiques heureux ?
A son crédit et à l’inverse de l’adaptation, la résilience ne se concentre pas sur la seule problématique climatique ou environnementale, mais sur tous les changements qui pourraient affecter nos sociétés et nos territoires (une crise financière, une crise économique, des attentats…). C’est en ce sens que nous avions analysé les élections municipales à l’aune de la résilience en 2020.
Dans l’accompagnement des politiques publiques, une approche opérationnelle de la résilience est possible, à la condition de se poser les bonnes questions en amont : la résilience de quoi ? Face à quoi ? Dans quels objectifs ? Et de les adosser à des critères qualitatifs comme la diversité des réponses ou la capacité de vitesse de réaction, une gouvernance agile ou encore la richesse des leaderships et des réseaux au sein du territoire (B. Walker).
Dans le contexte de crise climatique, nous pouvons donc positionner la résilience comme un élément stratégique parmi d’autres, capable d’embarquer des acteurs divers et de les amener à questionner en profondeur nos modes de production et de consommation.
A ces conditions, nous pouvons assumer que la résilience fasse l’objet d’usages politiques heureux, sans manipulation du terme, mais pour procéder à des choix stratégiques et politiques en se posant toujours, et honnêtement, les bonnes questions (Pourquoi ? A quoi renoncer ? Que veut-on réellement défendre ?) et sans se voiler la face : une approche purement environnementale de la politique ne fait pas une politique écologiste, pas plus qu’une adaptation incrémentielle ne questionne ni ne transforme fondamentalement notre modèle de développement.