20 000 lieux sous les mers

L’urbanisme local à l’épreuve des risques de submersion marine – Quoi de plus exceptionnel qu’une charmante maison de bord de mer ? Le rêve de nombre de particuliers pour qui l’investissement en bordure de littoral est souvent, plus qu’un rêve de gosse, l’accomplissement d’une vie. Les notaires ont enregistré une augmentation inégalée des prix pour des acquisitions de ce type de biens à la suite de la crise Covid en 2021. Et pourtant, quoi de plus risqué ?

Votre auteur et interlocuteurEdgar BRAULT

Edgar BRAULT

Chef de projets Transition écologique

Si c’est le GIEC qui le dit…

Selon une estimation publiée en 2019 par le GIEC, le niveau des mers devrait gagner d’ici 2100 entre 61 et 110 cm par rapport à son niveau mesuré en moyenne sur la période 1986 – 2005.

Les variations du niveau de la mer sont loin d’être inédites, puisqu’il y a 21 000 ans, à l’époque du dernier « pic de froid », le niveau des mers était bien plus bas, et les îles britanniques fermement reliées à la péninsule européenne. En 21 000 ans, le trait de côte a donc progressé de manière drastique.

Les terres émergées lors du dernier maximum glaciaire (il y a 21 000 ans) s’étendaient jusqu’au large des Cornouailles et recouvraient l’essentiel de l’actuelle Mer du Nord. En blanc, les terres émergées alors recouvertes d’une calotte glaciaire – Source : Wikipedia.

21 000 ans : un clignement de paupière à l’échelle géologique. C’est trois fois l’âge des menhirs dont certains, bordant les côtes bretonnes, ont déjà disparu sous les assauts des vagues. 21 000 ans, c’est un encore un millième de « l’âge des Alpes », un massif considéré comme jeune par les géomorphologues.

Sous l’effet du changement climatique, la montée des eaux est alimentée à la fois par la fonte des calottes glaciaires, mais surtout par la dilatation thermique des océans (le principe qui veut que, grosso modo, l’eau chaude prend un peu plus de place que l’eau froide). Cette accélération inédite de la montée des eaux, déjà engagée, va transformer de vastes zones littorales en marais inhabitables. Et ceci en quelques décennies seulement.

Le constat est simple : la sensibilité du niveau des eaux au réchauffement climatique est tout simplement extrême, et ce phénomène de recul du trait de côte pourrait bien être le premier enjeu de stress climatique à l’échelle planétaire dans les décennies à venir. Une cartographie des zones menacées, publiée par l’organisation scientifique Climate Central permet à chacun de se faire une idée de l’ampleur du problème, de l’échelle globale à l’échelle locale.

Rassurons-nous tout de suite : ces zones en rouge ne sont pas à rayer de la carte à jamais. Et certains ouvrages d’endiguement préservent temporairement, voire même durablement, des villes comme Calais ou Dunkerque.

Ce que nous indiquent ces cartes, c’est le risque de submersion marine, c’est-à-dire la probabilité de voir ces zones exposées environ une fois par an à des inondations majeures mais temporaires, dans le cadre d’évènements météorologiques extrêmes (tempêtes, grandes marées). Une repopulation de ces zones par des poissons n’est pas (encore) à l’ordre du jour, mais la multiplication des épisodes climatiques extrêmes compromet très sérieusement la possibilité pour l’espèce humaine d’habiter ces espaces. Et surtout, la vitesse de transformation de ces milieux rend très improbable la possibilité d’adaptation naturelle des milieux biologiques à ce nouveau trait de côte, tout simplement car il se déplace trop rapidement.

Pour prendre un exemple dans les Antilles françaises, emprunté à Virginie Duval, co-autrice des derniers rapports d’évaluation du GIEC interrogée par Mediapart, la mangrove peut être restaurée sur un littoral dans une perspective de court terme, mais elle se noie au-delà de 6 mm d’élévation du niveau de la mer. Or la mer monte plus vite que la capacité d’adaptation de la mangrove.

Le recul du trait de côte au programme de la planification locale

Cette préoccupation scientifique commence à devenir un enjeu d’aménagement du territoire, c’est-à-dire un problème politique. Certaines communes, à l’instar de Lacanau, s’en sont saisies pour structurer dès les années 2010 une stratégie de relocalisation des biens et activités, faisant l’objet depuis quelques mois d’un projet partenarial d’aménagement.

Prenant acte de l’urgence du problème, et afin de multiplier ce type de politiques publiques locales, le législateur a fixé, dans un décret du 29 avril 2022 et en application de la loi Climat et Résilience (2021), une liste de 126 communes particulièrement menacées par le risque d’érosion du littoral. Cette liste, déterminée après consultation des communes concernées, concerne 1,5 million de personnes vivant dans ces zones inondables.

Quelles sont les responsabilités des équipes municipales dans ces communes ? Elles relèvent de trois niveaux d’application.

  • Les élus communaux et leurs équipes peuvent engager sans plus tarder un travail de sensibilisation, de pédagogie et d’acculturation aux risques de submersion marine auprès des administrés.
  • Les communes concernées doivent se doter d’un « plan de prévention des risques littoraux », adossé sur une cartographie de l’évolution du trait de côte à horizon 30 ans et 100 ans. Cette nouvelle donne pourra impacter les plans locaux d’urbanisme, sous la forme d’un zonage déterminant de nouvelles zones d’inconstructibilité, ou d’orientations d’aménagement et de programmation (OAP) prévoyant des aménagements particuliers en bordure du littoral.
  • Les populations concernées devront collectivement mettre en place des solutions d’adaptation face à cette nouvelle donne géographique, de l’édification d’ouvrages de protection à des actions de relocalisation.

Face à l’un des grands défis du XXIème siècle, l’équipe Auxilia s’engage auprès des territoires littoraux pour soumettre au débat public la question de la relocalisation des activités, et de l’adaptation des aménagements au recul du trait de côte.

 

Crédit photo : Juliette Guesdon-Vennerie, 2022

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