Les recycleries en quête du Graal

Le meilleur des déchets étant celui qui est évité, les initiatives se multiplient ces dernières années pour développer le réemploi et la réutilisation. Forts de nos expériences récentes, nous proposons ici une approche des conditions de réussite d’un projet de recyclerie : la recherche de cinq ingrédients constitutifs du « Graal ».

Votre auteur et interlocuteurSamuel SAUVAGE

Samuel SAUVAGE

Directeur de projets Economie circulaire et Numérique responsable

Force est de constater que le réemploi s’est imposé dans les pratiques : selon l’ADEME, 97 % des Français ont déjà pratiqué le réemploi, que ce soit en donnant un objet ou en achetant un bien d’occasion. Le nombre de recycleries et ressourceries, bien qu’imprécisément mesuré en France, ne cesse de croître : en 2021, plus de 6 500 personnes étaient salariées des structures adhérentes au réseau national des ressourceries, soit 50 % de plus qu’en 2008.

On peut résolument s’en féliciter : le réemploi est non seulement une priorité environnementale (par les déchets évités, par la sensibilisation, mais surtout par la réduction des besoins de fabrication de biens neufs), mais aussi sociale (emplois créés, insertion, lien social) et économique (pouvoir d’achat, partenariats). En partenariat avec Nathalie Mayoux, ancienne secrétaire générale du réseau des ressourceries, Auxilia accompagne depuis 6 ans diverses recycleries et ressourceries, notamment des études de faisabilité et des schémas du réemploi. Comme le montre la carte ci-dessous, ces missions ont lieu partout en France.

Un contexte favorable ?

S’ils se développent, c’est que ces projets s’inscrivent dans un contexte globalement favorable. Nos études prospectives de ces dernières années montraient d’ailleurs un potentiel de création d’emplois importants : ainsi, selon notre étude Emplois Circulaires au carré, plus de 2 000 emplois directs pouvaient être créés en Ile-de-France d’ici 2025 grâce au développement des recycleries.

L’inflation, phénomène tant décrié, contribue à cet essor, dans la mesure où les recycleries permettent d’acheter globalement 3 à 4 fois moins cher que le neuf. Les impulsions politiques se sont pas en reste, avec la loi Anti-Gaspillage pour une économie circulaire (2020), qui interdit la destruction des invendus, oblige les éco-organismes à s’intéresser au réemploi, oblige les collectivités à acheter un certain pourcentage de produits recyclés / réemployés, ou encore crée des nouveaux fonds pour le réemploi solidaire. La prise de conscience des consommateurs s’accroît, avec une honte croissante d’acheter du neuf. Les commerces ne s’y trompent pas : ils sont de plus en plus nombreux à proposer une offre de seconde main pour attirer les clients (nous l’avions d’ailleurs décrypté dans l’étude « Le commerce au défi de la transition écologique »).

Ces facteurs positifs ne doivent cependant pas nous aveugler. Partout, il existe des structures qui ferment, car quand on vend des produits à 1 ou 2€, les modèles économiques restent fragiles. La concurrence de plateformes telles que Vinted ou Leboncoin conduit souvent à dégrader la qualité et la quantité des dons ce qui, pour le textile en particulier, est très préoccupant. Plus récemment, certains financements publics s’érodent (Ademe, postes en insertion…).

Les 5 conditions de succès d’une recyclerie selon nous : la recherche du GRAAL

Chaque projet est différent car il a une histoire propre, notamment liée aux porteurs de projet et aux spécificités du territoire. Aussi, certaines structures visent avant tout un impact environnemental, tandis que d’autres sont mues par un impact social premier (insertion de personnes éloignées de l’emploi). Selon les cas, les conditions de succès ici esquissées vont donc devoir être ajustées. Néanmoins, nous partageons ici 5 éléments d’un radar des conditions de succès d’une recyclerie, qui constituent un acronyme intéressant pour ces projets vecteurs de sens : le GRAAL.

Carte de France réemploi accompagné par Auxilia Mapping des ingrédients du Graal des recycleries

1. Les Gisements

C’est la première chose à vérifier. Si les gisements ne manquent jamais, tant les gaspillages sont nombreux dans notre société de consommation, leur qualité varie fortement d’un territoire à l’autre. Certains gisements sont plus rémunérateurs que d’autres par mètre carré, tels que le textile qui offre un bon taux de rotation des produits. De même, la captation des gisements réemployables d’une déchetterie constitue un vrai plus en termes de stabilité d’approvisionnement. Dans nos études, on constate généralement que les recycleries spécialisées (telles que la recyclerie sportive) développent une meilleure connaissance de leurs produits et génèrent une meilleure rentabilité que les recycleries généralistes. En ce sens, un projet tel que « Le Village du réemploi » (que nous soutenons à Montreuil) est emblématique car il vise à créer une venelle avec différentes structures du réemploi spécialisées, côte à côte.

2. Les Ressources humaines

Elles sont centrales dans tout projet d’entreprise et les recycleries n’y échappent pas. Le choix de modèles d’insertion (à 56 % des ateliers chantiers d’insertion) ne doit pas être guidé par des considérations uniquement financières, tant le besoin d’accompagnement est fort, avec la nécessité de prévoir un fort taux d’encadrement et l’accès à un(e) conseiller(e) en insertion professionnelle. La motivation est centrale dans ces métiers, d’où le besoin de leur donner du sens, et d’engager les personnes accompagnées dans un parcours de progression. Un management efficace et un juste calibrage du nombre d’ETP sont donc des ingrédients indispensables.

3. L’Animation

A fortiori si la structure est située en milieu rural ou à proximité de la déchetterie, l’animation du lieu constitue une nécessité pour faire venir la clientèle. Ainsi, il existe diverses structures objectivement mal placées qui réussissent à faire venir des milliers de clients, à l’aide de l’organisation d’ateliers variés et d’une communication efficace. Nous constatons cependant un rôle ambigu des ateliers : mal relayés, ils peuvent être chronophages pour des résultats limités. Bien sûr, ils restent cependant nécessaires car ils incarnent l’une des fonctions des recycleries : la sensibilisation du public.

4. Les Aides

Nous avons vu que les équilibres économiques des structures restaient précaires : au vu de leurs externalités, il est logique qu’elles bénéficient de soutiens publics. Aujourd’hui, 78 % des ressourceries et recycleries ont un partenariat formalisé avec une collectivité territoriale et la majorité des aides viennent des politiques d’insertion. Dans trop peu de cas, cependant, la collectivité n’apporte une aide sous la forme de la mise à disposition d’un local (à titre gratuit ou à prix diminué), alors que c’est l’aide qui est la plus efficace sur le long terme. Le soutien institutionnel passe aussi, de plus en plus, par les éco-organismes, ce qui oblige maintenant les recycleries à mettre en œuvre une traçabilité complète. Il s’agit d’une évolution incontournable.

5. Les Locaux

Derrière cet item, on retrouve non seulement l’accessibilité des locaux (et la fameuse zone de chalandise de tout commerce), mais aussi l’aménagement proposé par les porteurs de projet. Aujourd’hui, l’une des difficultés principales des recycleries (et ne parlons pas des matériauthèques) est l’accès à un foncier suffisant. On constate deux tendances fortes : d’une part, une nette progression des présentations dans les recycleries, celles-ci tendant à ressembler aux commerces du neuf (voir par exemple la boutique Bell’Occas à Charleville-Mezières). D’autre part, la volonté de créer des boutique « show room » en centre-ville (comme Ikos à Bordeaux, ou celle de la ressourcerie du Pays d’Issoire), une opération souvent gagnante pour donner de la visibilité aux structures. A cela, on peut ajouter le développement des projets englobant la construction de déchèterie/recyclerie portée par les collectivités territoriales avec primauté donnée au réemploi et donc construction de locaux parfaitement adaptés à l’activité. Une vraie prise de conscience collective et pas seulement associative.

Ces 5 ingrédients pour des recycleries en quête du GRAAL sont à manier, comme toute bonne recette, en fonction des objectifs poursuivis.

Néanmoins, ils constituent des faisceaux d’indices qui indiqueront aux porteurs de projet, et à la collectivité, si le projet est sur la bonne voie. Et si vous ne vous êtes pas encore lancés dans ces projets en tant que collectivité ou consommateur, dites-vous qu’il n’est pas trop tard.

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