Il apparaît en effet de plus en plus clairement que nous entrons dans une ère de pénuries, de rationnements et de fermetures. D’un côté, le gouvernement taiwanais rationne l’accès à l’eau pour un million de foyers au profit d’usines de microprocesseurs très gourmandes en eau ; de l’autre, des domaines skiables qui, devant l’absence de neige due au réchauffement climatique, recherchent de nouveaux fonctionnements pour leur territoire. D’un côté, plusieurs communes varoises gèlent tous les permis de construire sur les quatre prochaines années face au manque d’eau ; de l’autre, un site touristique australien, sur demande des populations qui y habitent, se ferme au tourisme de masse.
Si ces quelques exemples entremêlent divers aspects (émissions de gaz à effet de serre, effondrement de la biodiversité, tensions et dépendances géostratégiques, raréfaction des ressources, héritages de la colonisation, etc.), qu’on ne s’y trompe pas : aujourd’hui, les collectivités territoriales, comme toutes les organisations, se retrouvent dans la situation des stations de ski de basse et moyenne altitude – c’est-à-dire qu’elles dépendent de configurations climatiques, de disponibilités en ressources, d’ingénieries financières et de paradigmes politiques devenus obsolètes. Comme aime le rappeler le chercheur Emmanuel Bonnet, la question qui s’impose à elles est donc la suivante : « où est votre neige ? ».
Derrière cette métaphore se cachent en réalité divers enjeux. Va-t-on subir ou choisir démocratiquement ces fermetures ? À quoi sommes-nous prêt·es à renoncer pour maintenir les choses précieuses à notre existence ? Comment démocratiquement faire le tri entre ce à quoi on renonce et ce qu’on conserve ? Comment prendre soin des personnes susceptibles d’être rendues vulnérables ? Quels futurs obsolètes ne faut-il surtout pas faire advenir ?
C’est justement à ces questions que le concept de « redirection écologique », proposé par trois chercheurs – Alexandre Monnin, Diego Landivar et Emmanuel Bonnet –, tente d’apporter des réponses, avec une double ambition opérationnelle et stratégique.
Auxilia est convaincue que les collectivités territoriales ont un rôle central à jouer dans les perspectives proposées par la redirection écologique, en raison de leurs compétences stratégiques, de la connaissance qu’elles ont de leur territoire, des liens de proximité qu’elles entretiennent avec leurs habitant·es, de leur faculté à privilégier l’intérêt général, de leur capacité d’innovation territoriale ou de la légitimité encore forte des élu·es locaux·les. Mais plus encore, peut-être, parce que la route qui mène à l’adoption collective de modes de vie soutenables est par définition propre à chaque territoire et dépend de ses caractéristiques. Au printemps 2021, la revue Horizons Publics a d’ailleurs consacré un hors-série à l’approche de la redirection écologique et plusieurs collectivités territoriales conduisent déjà ce genre d’expérimentations.
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Depuis septembre 2022, Auxilia accueille Bastien Marchand, dans le cadre d’une thèse CIFRE consacrée à la redirection écologique, en partenariat avec l’université d’Aix-Marseille et le CNRS. Son travail de recherche – qui fera ici l’objet de chroniques régulières – consiste à explorer comment les collectivités territoriales peuvent se saisir des enjeux redirectionnistes introduits ici. Si ces derniers résonnent avec votre expérience, Auxilia en général et Bastien Marchand en particulier se tiennent à votre disposition pour imaginer ensemble une suite à ces réflexions.