Des coronapistes à l’écosystème vélo : quels enseignements ?

En février 2021, la 4ème édition de l’Observatoire des Mobilités Emergentes (ObSoCo et Chronos) s’interrogeait sur les effets de la crise sanitaire sur les pratiques de mobilité des Français.es. Parmi les enseignements de cette publication, on retenait notamment une augmentation des modes actifs dans les déplacements du quotidien.

Ces nouvelles pratiques de mobilités ont été accompagnées par les collectivités via la mise en place de nouveaux aménagements. En moins de 6 mois, le territoire français s’est doté de 600 kilomètres d’aménagements cyclables temporaires collectivement appelés “coronapistes”. Si l’objectif de 1 000 kilomètres fixé par le gouvernement n’est pas encore atteint, on peut néanmoins noter l’implication des collectivités dans ce projet d’ampleur. En décembre 2020, 75 % des collectivités qui s’étaient engagées dans un ou plusieurs projets d’aménagements étaient arrivées au bout de leur démarche et 87 % d’entre elles annonçaient vouloir pérenniser ou étendre les nouveaux aménagements (Enquête du Club des villes et territoires cyclables, février 2021).

Votre interlocuteurMarc FONTANES

Marc FONTANES

Directeur général adjoint et de l'expertise Mobilités
Votre interlocuteurMarc FONTANES

Marc FONTANES

Directeur général adjoint et de l'expertise Mobilités

C’est sur cette question qu’Auxilia a souhaité s’interroger. Un approfondissement des cas de Charleville-Mézières (08) et de Sèvres (92), nous a permis de tirer plusieurs enseignements concernant les modalités de succès ou d’échec de la pérennisation de ces aménagements et plus généralement sur les conditions de mise en place d’un “écosystème vélo”. Dans les deux villes, les aménagements temporaires étudiés sont déjà passés en format définitif ou ont vocation à l’être sur un court ou long terme. Les deux études de cas sont présentées de manière détaillée à la fin de l’article. 

Premier enseignement : la difficulté de mesurer le développement du vélo

Si l’installation d’éco-compteurs dans la chaussée comme à Charlevilles-Mézières et à Sèvres permet de recueillir des données précises sur l’augmentation du nombre de cyclistes sur un lieu de passage précis, les données concernant un éventuel report modal de la voiture ou des transports en commun vers le vélo sont, elles, bien plus difficiles à obtenir. L’absence d’une telle information complique la mesure réelle du développement du vélo. 

Pour tenter d’y remédier et afin de comprendre si l’augmentation du nombre de cyclistes résulte d’un report modal, la ville de Sèvres a demandé au département des Hauts-de-Seine un comptage des automobiles sur la portion de chaussée ayant accueilli la bande cyclable temporaire. Ce comptage devrait permettre de quantifier la réduction du trafic automobile par rapport au contexte pré-sanitaire. Mais la difficulté de déterminer si une diminution de la circulation automobile résulte d’un changement d’itinéraire des automobilistes ou d’un report modal en faveur du vélo ou des transports sera, elle, toujours présente. 

Deuxième enseignement :  la nécessité de développer un “écosystème vélo”

Si la pérennisation des aménagements cyclables temporaires est évidemment souhaitable, elle ne suffit pas pour que le vélo devienne à lui seul un moyen de déplacement crédible face à l’automobile. Seule la mise en place d’un véritable “écosystème vélo” permettra à terme une démocratisation de son usage. Point fort de la démarche de Charleville-Mézières, la mise en place de mesures d’apaisement telles que la généralisation de la vitesse de circulation à 30km/h est nécessaire. Le développement de l’accès à des lieux de réparation, ou, comme l’a bien compris la ville de Sèvres, l’installation de stationnements sécurisés à proximité des lieux de vie, des équipements ou encore des hubs de mobilité (gares) sont également des mesures essentielles.

Troisième enseignement : logique multimodale et prise en compte des conflits d’usages

Cet “écosystème vélo” ne doit pas être pensé indépendamment ou en substitution des autres modes. L’intermodalité est essentielle au développement d’un système de mobilité de plus en plus complémentaire et riche. Une intégration des logiques d’intermodalité et de multimodalité au forfait mobilité durable pourrait être une piste à explorer pour associer les employeurs à cette dynamique. Les entreprises viendraient alors en appui aux collectivités afin de porter ce système. 

Si l’adoption d’une logique multimodale constitue un premier pas pour que toutes les mobilités soient possibles, le développement massif d’infrastructures cyclables ne doit pas se faire au détriment de la prise en compte des piétons, au risque d’assister à une augmentation des conflits d’usages pour le partage de l’espace public. De nombreuses situations peuvent générer des tensions entre les différents usagers si elles sont mal prises en compte (stationnement en double-file de camions de livraison ou l’arrêt d’un bus sur une bande cyclable…). Quelques exemples proposés dans L’Enquête du Club des villes et territoires cyclables (février 2021), nous prouvent cependant qu’un aménagement réfléchi peut bénéficier aux cyclistes comme aux piétons via la mise en place de mesures d’apaisement globales. C’est le cas notamment le cas des vélorues ou encore des zones de rencontre. 

Quatrième enseignement : Au-delà de l’urbain…

Le manque de moyens techniques et financiers dans les petites collectivités rurales et périurbaines n’a pas permis un développement des “coronapistes” aussi affirmé que dans les grandes et moyennes villes. Le Plan Vélo instauré par la Loi d’Orientation des Mobilités a pour objectif de faire évoluer la part modale du vélo de 3 à 9 % d’ici 2024. Afin d’éviter que l’ensemble de cette part modale ne soit captée par les grandes – voire les très grandes – agglomérations, il est fondamental de développer en priorité l’accompagnement de ces territoires. 

Cette analyse rappelle que derrière les crises surgissent des opportunités riches en expérimentations. Toutefois, pour passer du temporaire au pérenne, le besoin d’une approche structurée de la mobilité sur un territoire reste de mise ! 

Zoom sur deux démarches prometteuses

Charleville-Mezières

Préfecture des Ardennes (08), Charleville-Mezières comptant 48 000 habitants, a tiré profit du contexte sanitaire pour accélérer la mise en place du schéma cyclable, en réflexion depuis mai 2019. Le 2 mai 2020, des bandes cyclables temporaires ont été déployées sur deux axes majeurs de la ville : l’avenue Boutet, dont les aménagements seront pérennisés en 2022 et l’avenue d’Arches dont 2m50 sont désormais affectés à l’usage du vélo et d’ors et déjà aménagés en lieu et place d’une voie de circulation automobile. Cette pérennisation rapide a été rendue possible grâce aux financements nationaux, régionaux et départementaux prévus dans le cadre du schéma cyclable.

Parallèlement, la circulation automobile a été repensée sur ces axes structurants afin de ne pas entraîner de congestion (passage de la circulation à 30km/h, modification feux tricolores…). Des dispositifs assurant aux cyclistes plus de sécurité dans leurs déplacements ont été déployés (séparateurs pour isoler la bande cyclable du reste de la chaussée et bandes clignotantes), de même que les arceaux vélos sécurisés ont systématiquement été installés aux abords des lieux stratégiques (collèges, missions locales, médiathèque etc…). D’après Benoît Norack, chef de projet voie verte et schéma cyclable, l’appropriation de ces aménagements était dans un premier temps essentiellement le fait des facteurs et des étudiants, mais leur fréquentation s’est aujourd’hui davantage démocratisée.

Une véritable volonté de promouvoir les modes actifs de déplacement est portée par la mairie, qui fait notamment appel à l’association d’usagers “Ma ville à vélo” dans une démarche de concertation. Cette forte ambition se traduit dans le nouveau schéma des mobilités qui, suite à une enquête en ligne, a été soumis à un référendum local le 28 novembre. Sur les 15,63 % de votants, 56,41 % ont dit “oui” au schéma des mobilités participatif et durable !

Sèvres

Le 19 juin  2020, le  Conseil départemental des Hauts-de-Seine (92) a mis en place en concertation avec la ville de Sèvres, une bande cyclable temporaire sur la RD910 (Grand Rue, Avenue de l’Europe). Cette voie est essentiellement empruntée par des “vélotaffeurs” et on observe une nette augmentation de son usage depuis la mise en place de la bande cyclable (+44% de passages lorsque l’on compare le mois de septembre 2019 avec celui de septembre 2021, selon data.eco-counter.com).

Cet aménagement devrait être pérennisé à plus long terme, dans le cadre de la réhabilitation de l’ancienne « Voie Royale » portée et financée par le conseil départemental du 92. Le tracé subira probablement quelques modifications afin d’assurer aux usagers plus de sécurité.

Là aussi, la ville s’est montrée attentive aux besoins des (nouveaux) cyclistes en installant des rangements vélos près des gares de tramway et de transilien. Une aide d’un montant de 200 euros est accordée par la mairie pour l’achat de VAE, véritable plus pour les cyclistes dans cette ville aux nombreux reliefs. En 2021, 150 à 200 subventions ont été accordées contre 58 l’année précédente !

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