Un cycle de conférences (les Up Conf) s’est penché récemment sur la place de la nature en ville. Co-animées par Bertil de Fos (Auxilia) et Macha Binot (Mouvement Up), ces conférences s’interrogent sur les leviers pour rendre nos villes plus vertes et inclusives. L’occasion pour Auxilia d’apporter notre vision de l’intérêt d’une approche réfléchie et globale de la nature en ville, alors que l’enjeu grandit dans les territoires accompagnés.
Dans les années 30, Marseille produisait suffisamment pour nourrir sa population. Partout, les villes étaient composées de jardins. Le mouvement hygiéniste du XIXème siècle avait doté les villes de parcs et d’allées arborées. Mais l'après-guerre et les Trente Glorieuses ont amené une logique différente, où les besoins de logements, de bureaux, d’infrastructures ont primé sur le végétal, relégué hors de la ville. Aujourd'hui, depuis quelques années, politiques et militants veulent redonner de la place à la nature en ville, un mouvement renforcé par la pandémie.
Il y a un désir partagé de plus de végétal en ville et en même temps, une forme de discorde sur le sujet cristallise les positions au détriment de l’action.
Bertil de Fos, Directeur d’Auxilia Conseil
Des bénéfices de la nature en ville…
La littérature scientifique met en avant les multiples bénéfices du végétal en ville sur la santé, le bien-être, la biodiversité, la lutte contre l'îlot de chaleur urbain, ou encore la qualité de l’air. L’OMS estime à 15 m² la surface minimum par habitant pour une population en bonne santé. La nature devient un enjeu d’attractivité et un outil de marketing territorial pour les villes : les collectivités rivalisent de projets végétalisés et mettent en avant parcs et forêts. En effet, l’observatoire OURT Chronos Auxilia a montré que la proximité avec la nature est l’élément le plus important pour caractériser un cadre de vie idéal pour les français, pour les bienfaits qu’elle apporte. Projets urbains, études d’acceptabilités et autres plans territoriaux se multiplient pour reverdir, replanter, naturaliser.
Cet engouement cache cependant des disparités dans la qualité des espaces proposés. Ces projets peuvent prendre plusieurs formes, de solutions très techniques (des toitures végétalisées aux fermes urbaines de plusieurs milliers de m²) à des solutions visant à accompagner le retour d’une biodiversité identifiée. Il s’avère que les externalités positives de ces espaces dépendent du type d’espaces végétalisés : moindre pour les plus petits espaces, à systémique dans le cas de trames vertes, de forêts ou de parcs. La taille, l’âge, la richesse de la biodiversité sont des éléments clés pour produire ces externalités positives.
Vers le Zéro artificialisation nette
Dans le même temps, les terrains “libres”, qu’il s’agisse de parkings abandonnés ou de jardins ouvriers séculaires aux externalités sociales et environnementales qui échappent à tout calcul aiguisent l’appétit des bâtisseurs qui y projettent sans effort leur prochain programme immobilier, une piscine Olympique ou pourquoi pas un solarium. Cette confusion générale est accentuée par l’un des objectifs 2050 inscrit à l’agenda européen et fixé en France par la loi Climat et résilience, aujourd’hui en débat au Parlement, qui prévoit que pour chaque espace artificialisé, un autre espace de taille équivalente soit renaturé, afin d’atteindre un équilibre numéraire nul en termes d’artificialisation des sols : c’est la Zéro Artificialisation Nette (ZAN).
Il apparaît qu’un certain nombre d’éléments échappent à cette appréhension cadastrale du vivant. Bien que salutaire (depuis le sommet de Rio en 1992, la ZAN n’a fait que gagner en importance dans les débats internationaux), cette politique ne prend que trop peu en compte la qualité des espaces que l’on tenterait de remplacer et le coût d’une telle renaturation1. Elle n’intègre pas davantage la question des inégalités géographiques d’accès à la nature puisque ces espaces sont le plus souvent construits loin de ceux détruits, au détriment des populations déjà exposées aux nuisances urbaines. Chaque année, entre 20 000 et 30 000 ha sont artificialisés, une augmentation presque 4 fois plus rapide que la croissance démographique, selon le ministère de la transition écologique.
Pendant la campagne des municipales, dans les programmes politiques, on a promu une ville jardinée, gage d’une meilleure qualité de vie ... Dans le même temps, [...] le jardin des vertus à Aubervilliers est destiné à être transformé en solarium qui va être construit pour les JO. On a l’impression qu’il y a la ville centre où on distribue des permis de végétaliser car ça renforce l’attractivité de la ville et puis de l’autre côté, en périphérie, là où c’est moins visible, on a moins de scrupules à l'artificialiser.
Bertil de Fos, Directeur d’Auxilia Conseil
Une ville verte inclusive ?
Une véritable ville verte ne serait-elle pas une ville inclusive, qui profite à tous ? Pour renforcer son accès, il s’agirait en réalité de multiplier ces jardins pour préparer nos villes au changement climatique. C’est aussi une nature créatrice de lien social, de communauté : remettre de la nature en ville demande un engagement citoyen, pour planter, maintenir et faire fructifier cet espace, car cela représente un coût que les collectivités ne peuvent assumer seules.
"La question du végétal ne doit pas être dissociée de la question sociale, elle est vraiment issue d’un besoin territorial, d’un quartier, où il y avait des enjeux sociaux, et c’est intéressant de le replacer dans ce contexte.”
Clara Simay, architecte
Des initiatives inspirantes
Si la puissance publique peine à prendre la mesure de la place fondamentale des espaces naturels, boisés, fleuris, en jachère ou cultivés dans le processus de préparation d’une ville au changement climatique et qui vise l’adaptation sociale et écologique, bon nombre d’initiatives citoyennes se structurent déjà pour ramener la nature en ville. Ces initiatives sont avant tout des théâtres des possibles où se vivent des luttes, se créent du lien, se partagent des savoirs faire et s’expérimentent des conceptions nouvelles de la culture en ville. Ils sont de véritables laboratoires ancrés dans les territoires, qu’aucune loi ne saurait rendre transposables. Si leur disparition est un fléau, leur multiplication en milieu urbain, périurbain et même rural (pensons à certaines plaines françaises vidées de leur population et rendues stériles par la monoculture intensive) est un pas de plus sur le chemin de la redirection écologique. Une manière, peut-être, de montrer que ce qu’on appelle « la nature » n’est rien d’autre qu’un écosystème auquel les humains appartiennent et duquel ils sont dépendants.
En ce sens, nous avons pu échanger avec Gérard Humeau, membre actif du jardin collectif « Buxia Comestible », nouvellement installé sur des terrains de foot inutilisé de la commune de la Buisse (38). Cet ingénieur de formation reconverti dans l’accompagnement du changement auprès des collectivités locales nous a partagé sa vision du jardin partagé et les raisons qui l’ont poussé à s’investir dans une telle aventure, non sans embûches. Un entretien à découvrir ici : Entretien - Gérard Humeau (Buxia Comestibles) | Auxilia Conseil (auxilia-conseil.com)