Entretien avec Gérard Humeau - Buxia Comestibles

02 novembre 2021 22:35

Bonjour Gérard, peux-tu nous présenter Buxia Comestibles ? 

Tout est parti d’un couple de jeunes qui est venu s’installer dans la commune (La Buisse, département de l’Isère) et qui avait plein de projets. Ils sont allés voir la mairie avec un projet d’espace de permaculture géré de façon collective. La mairie a mis à leur disposition un ancien terrain de foot de la commune qui n’était plus utilisé. La mairie a commencé par un labourage du terrain pour faire un an de jachère fleurie. 

Puis « nos jeunes » ont monté une association, la mairie a laissé le terrain à disposition. Une fois l’asso créée, ils ont rassemblé une vingtaine de personnes. Depuis le début, ce nombre ne grandit pas beaucoup il faut le reconnaitre. Une petite dizaine est vraiment active. Le groupe s’est petit à petit structuré. La première année il ne s’est pas passé grand-chose, puis à la fin de la 1ere année, nous avons fait une demande de subvention (projet LEADER) qui a été acceptée, ce qui nous a apporté pas mal d’argent. 

On a commencé par acheter un chalet, pour se réunir, mais il a pris feu. On est donc reparti sur des projets plus structurés.  

Je suis intervenu en tant que coach sur un séminaire de vision, de projection : « Comment se voit-on dans 3 ans, dans 5 ans ? »  J’ai proposé un SWOT et on a discuté l’organisation. Ça a été efficace : en 2 matinées on a produit un livre blanc. Les participants ont choisi les parties du projet dans lesquelles ils voulaient s’investir. Le tout en gouvernance partagée, sur le principe du volontariat, selon les compétences et volontés de chacun. Ce manque de structure apparente a posé problème à certains au début et ils ont quitté l’association. 

Puis le printemps 2020 a été magnifique. On a beaucoup jardiné. Le jardin a pris forme. Et le bilan est excellent ! On a réussi à réaliser tout ce qu’on avait prévu au début de l’année lors de notre session de projection, alors que les plus optimistes pensaient que si l’on réalisait déjà la moitié des projets, ce serait très bien. On a mis un conteneur à la place du chalet. 

On a creusé une mare et un puits et mis en place un système d’arrosage pour éviter d’aller à la rivière à 100 m avec des sceaux.  

On a fait un plan de plantation structuré de 25 arbres fruitiers et multiplié par 5 la surface cultivée. 

Maintenant le moment du jardinage est devenu un moment privilégié pour se retrouver le dimanche matin. De temps en temps, on organise des repas partagés le weekend. 

Comment vous organisez-vous ? 

Nous communiquons sur un groupe WhatsApp, c’est efficace. Cela nous permet de dire qui est sur le terrain, qui a besoin d’un coup de main, qui a planté quoi et où, qui a récolté les fruits et les légumes, etc.  

Et voilà où nous en sommes : on plante encore de manière peu structurée mais on s’améliore vraiment, on gère la récolte. Le but n’est pas la productivité. On respecte les règles de l’écologie bio et contrôle de tous les intrants (engrais qu’ils soient naturels ou non, éléments organiques, et même les graines. On les limite au maximum, sauf les graines et les nouveaux plants au début bien sûr). 

On produit bien mais on est très embêté par les nuisibles : les limaces mangent au printemps la moitié des plans, et les rats taupiers mangent tout ce qu’il y a sous la terre… On n’a pas trouvé de solution contre ça encore, et c’est parfois décourageant. 

Qu’est ce qui t’a poussé à rejoindre Buxia Comestibles ? 

La démarche collective. Je suis fan du collectif et le fait que ce soit juste à côté de chez moi m’a permis de sauter le pas sans hésiter. Il y a aussi eu la sympathie des initiateurs. Il y a 2 tranches d’âge : les 25-30 ans, et les 50 ans-retraités, sans vraiment d’entre-deux.  

En termes de profil socioprofessionnel, ce sont plutôt des intellectuels, impliqués dans la vie municipale.  

Une des préoccupations est de faire grandir le groupe, mais nous sommes limités par la disponibilité de chacun. Comme nous sommes peu il faut optimiser l’énergie du groupe. On est suffisamment occupé à entretenir et aménager le jardin, donc on n’a pas de temps pour le reste, communiquer, se faire connaître. On n’est pas assez nombreux. 

Est-ce que tes motivations ont évolué ? 

La grosse déception c’est les nuisibles, travailler pour ne rien récolter c’est dommage quand même ! 

Après ce qui est super, c’est que les gens sont créatifs et ramènent des plans différents, des graines rares parfois, des espèces peu communes. Moi par exemple j’ai planté pas mal de fraises des bois. 

On achète des graines chez Kokopelli : au début d’année chacun fait part de ce qu’il veut mettre, on fait chacun les semences chez soi et ensuite on les transfère sur le terrain quand les plants sont suffisamment grands pour ne pas être entièrement mangés par les limaces. Comme certains refusent de tuer les limaces, on ne les tue pas.  

Buxia est inspiré de l’agenda 21 de la commune, quels soutiens, quels liens avec le territoire ? 

Nous sommes soutenus par la commune avec des subventions. Dans l’équipe, les 2 personnes à l’initiative sont élus municipaux maintenant, et il y a un adjoint aussi dans l’asso. Donc nous avons des relations étroites avec la municipalité.  

Nous avons aussi des relations régulières avec les Biojardins de Coublevie (la commune voisine), avec lesquels on a instauré des échanges de bonnes pratiques. On est en lien avec une personne très active qui est aussi maintenant président de l’Association des croqueurs de pommes (une asso qui agit pour le maintien des espèces variées de pomme). Il intervient au sein de Buxia pour nous donner des formations sur la taille et la greffe d’arbres fruitiers, c’est passionnant.  

A côté il y a des jardins ouvriers/familiaux, mais la coopération n’est pas idéale car ils ont une vision différente du jardinage. Leur but est de produire des légumes donc ils utilisent plus d’engrais parfois chimiques.  

On a la chance d’avoir au sein de Buxia Commestibles un expert en biodiversité qui travaille au CEA, il nous aiguille beaucoup. Par exemple, on a conservé une prairie pour y laisser croitre des plantes rares de notre région. 

Il y a aussi un fort intérêt pédagogique avec l’école maternelle et primaire de la commune, on a mis à disposition des bacs pour que les enfants puissent apprendre à jardiner. Ils viennent régulièrement voir pousser leurs semences. 

L’idée à terme est de faire un espace de promenade. Quand les arbres auront grandi, il y aura de l’ombre, ce sera un lieu ouvert. On prépare un cheminement, des bancs, etc

On est en 2030, dans un monde idéal, on te demande de présenter ce qu’est devenu Buxia Comestible, quels sont les principaux points de la présentation ?  

Notre terrain est devenu une forêt jardin, avec des arbres fruitiers variés qui produisent en quantité. Il y a des légumes au pied des arbres, une centaine de bénévoles, c’est un espace de promenade pour les habitants du village qui peuvent se servir en fruits et en légumes. 

Quelle grande réussite permettrait le « modèle Buxia » s’il était largement répandu ? 

L’enjeu principal est l’autosuffisance, mais les conditions ne sont pas encore réunies pour ça aujourd’hui. Idéalement, si des gens sont plus disponibles pour jardiner, on peut produire énormément sur une petite surface. Nous avons un hectare de jardin, c’est immense ! On peut nourrir beaucoup de gens : 20 à 30 familles, voir plus ! Pour ça il faut faire de la culture en butte, des « lasagnes », pour que rien ne rentre à part les graines et rien ne sorte à part les fruits et les légumes produits.  

Déjà aujourd’hui on utilise tout. Par exemple, l’herbe fauchée est utilisée pour pailler le sol pour éviter l’évaporation et diviser par 4 le besoin d’arrosage. 

La difficulté principale est le « recrutement » de nouveaux bénévoles. Avec notre temps disponible, on se concentre sur le travail du terrain. C’est ça la fragilité d’une association liée au bénévolat. On ne peut pas faire plus que le bon vouloir de nos adhérents.

Des conseils pour ceux qui veulent lancer un projet similaire ? 

Des valeurs claires, une vision claire. C’est ce qui a fait que ça a marché pour nous. Il faut construire une vision partagée, en acceptant de faire des compromis par rapport à sa propre vision, après ça tient la route. C’est ce qui me motive le plus, cette expérience humaine de gouvernance partagée.