Notre système alimentaire est-il devenu fou ?

Chaque trimestre depuis de nombreuses années, Auxilia regroupe ses collaborateurs et collaboratrices pour une journée d’échanges et de travail sur un thème précis – une « LaboParty ». Le 21 mars 2023, ce furent au tour des questions agricoles et alimentaires de nous occuper, avec, notamment, une table ronde réunissant Jean Azan, Jean-Claude Balbot et Bénédicte Bonzi. Compte-rendu.

Votre auteurBastien MARCHAND

Bastien MARCHAND

Consultant - Doctorant en redirection écologique
Votre autriceBérengère MENDEZ

Bérengère MENDEZ

Directrice Agricultures & alimentation et de l'agence de Lyon

Laboparty sur les violences alimentaires« Notre système alimentaire est-il devenu fou ? ».

C’est par ces mots que Claire Huberson, cheffe de projets Accompagnement du changement au sein d’Auxilia, a introduit la table ronde organisée à l’occasion de la « LaboParty » du 21 mars 2023. Autour d’elle, les collaboratrices et collaborateurs d’Auxilia ont eu le plaisir d’accueillir et d’écouter Jean Azan, administrateur de l’association Terre de liens Ile-de-France et des Ami·es de la Confédération paysanne, Jean-Claude Balbot, paysan dans le Finistère, sociétaire de l’Atelier paysan et co-auteur de Reprendre la terre aux machines (Seuil, 2021) et Bénédicte Bonzi, anthropologue, cheffe de projets Agricultures & alimentation au sein d’Auxilia à ce moment-là et autrice de La France qui a faim (Seuil, 2023).

En réponse à la question introductive posée par Claire Huberson, animatrice des débats, les trois intervenant·es dressent d’un commun accord un constat alarmant, qui pourrait presque tenir d’une situation inextricable. En amont de la filière, des agriculteurs et agricultrices, dont la moitié va partir en retraite d’ici 2030, qui connaissent des surendettements préoccupants et des taux de suicide records. En aval, des consommateurs et consommatrices qui doivent jongler entre mal- et sous-nutrition (la précarité alimentaire toucherait plus de 10 millions de personnes en France), sommé·es de choisir entre des produits plastifiés et pleins de pesticides. Toute une filière, donc, accusée de gaspiller massivement et de n’être bénéfique ni pour les producteur·rices ni pour les consommateur·rices.

Le revenu total de tous les fermiers de France, c’est 9 milliards d’euros par an. L’aide alimentaire, ça coûte 1,5 milliards chaque année… » Bref, « le modèle actuel est incapable de nous nourrir, résume Jean-Claude Balbot, alors que c’est pourtant la promesse de l’industrialisation.

Le système alimentaire dont nous héritons doit donc tout autant répondre à des urgences (lutter contre la précarité alimentaire) qu’à des transformations en profondeur du système et des pratiques (désindustrialiser, dépolluer, etc.).

Au milieu de ce qui ressemble fortement à un marasme, des lueurs (basse consommation) apparaissent pourtant çà et là : Claire Huberson signale ainsi l’agriculture biologique et paysanne toujours plus importante, les prises de conscience de certains acteurs, les initiatives en faveur d’un retour aux champs qui pullulent… L’occasion, ici, de s’arrêter sur l’association Terre de liens, dont Jean Azan est l’administrateur pour la région Ile-de-France. Fondée en 2003, cette foncière cherche à « acquérir des terres agricoles » afin d’y « installer une nouvelle génération paysanne sur des fermes en agriculture biologique », précise son site. « L’un des problèmes des paysans, c’est le foncier, abonde Jean Azan : comment faire pour acheter ? ». S’il précise la mission de l’association – « changer l’agriculture petit à petit » en faisant en sorte que « les gens retrouvent le plaisir de nourrir les autres » – Jean Azan est conscient des insuffisances de ce qui se veut être une « alternative possible à l’agriculture industrielle ».

On ne prétend pas régler tous les problèmes, juste un, le foncier. La limite, c’est que le paysan doit quand même payer, malheureusement… Alors que la terre devrait bien entendu être un bien commun inappropriable, indique Jean Azan.

C’est alors que Jean-Claude Balbot s’engouffre dans cette dimension stratégique. Pour lui, si « les alternatives sont absolument indispensables », elles sont aussi « totalement inoffensives ». Le Finistérien, qui s’est fait paysan en 1974 « comme on se fait curé », dresse un constat sévère, en forme de mea culpa – « à aucun moment nous n’avons entravé le développement de l’agriculture industrielle » –, et appelle à un décalage stratégique : « il faut désormais chercher des solutions systémiques pour sortir d’une stratégie par l’offre au profit d’une stratégie par la demande ».

C’est justement l’objectif assumé par la proposition de Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA), que nos trois Auxilia x Laboparty Violences alimenatires 3intervenant·es portent en commun. Pour Jean Azan, la SSA constitue en effet « une solution qui permet aux gens de manger sans être demandeur, qui évite toute stigmatisation et enlève toute violence de l’aide alimentaire ». Tout comme la Sécurité Sociale « tout court », la SSA repose sur trois piliers : l’universalité (« on ne veut plus de politiques discrétionnaires pour les pauvres »), la cotisation (« tout le monde cotise à hauteur de ses moyens pour recevoir en échange une allocation de 150 euros ») et le conventionnement (« les cotisations obligent à donner son avis en connaissance de cause pour décider de ce qu’on fait des cotisations, où on peut le dépenser », précise Jean-Claude Balbot).

Comment cette proposition est-elle perçue par celles et ceux qui tiennent aujourd’hui l’aide alimentaire à bout de bras ? Forte de son enquête sur « la France qui a faim », Bénédicte Bonzi concède que « l’aide alimentaire ne se sent aujourd’hui pas concernée par ces propositions, elle se sent même potentiellement menacée ou critiquée ». « C’est donc difficile pour elles et eux de percevoir la critique », complète-t-elle.

L’enjeu immédiat pour la Sécurité Sociale de l’Alimentation, « c’est de fédérer des forces, des personnes et des vécus qui doivent pouvoir se parler ».

« La SSA ne critique pas ce que fait l’aide alimentaire depuis des années. Tout le monde comprend bien que si les bénévoles et les salarié·es de l’aide alimentaire lâchent, des gens meurent. L’ambition, c’est justement de sortir de ce système, puisqu’une urgence qui dure depuis 30 ans, ce n’est plus une urgence, c’est un système ».

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