Défis concrets de l’alimentation dans les quartiers « politique de la ville »

06 septembre 2021 15:37
Chapô

Témoignage de Martin Rault Le Gunehec,

Son expérience des politiques publiques alimentaires en territoire dionysien & politique de la ville

Au cours des quatre dernières années, j’ai travaillé pour la Ville de Saint-Denis en tant que responsable du développement territorial du quartier de la Plaine. C’est un territoire emblématique de la Ville aux frontières de Paris : 20 000 habitants, 50 000 salariés qui font la navette chaque jour. Ce quartier profite depuis la fin des années 90 d’un développement urbain quasi inédit en France. La Plaine dispose de 3 secteurs politique de la Ville. Au cours de ces quatre années, j’ai pu voir à quel point la question de l’accès à une alimentation durable et de qualité était à la fois un enjeu important pour les habitants, mais aussi pour les collectivités et les élus. Ayant coordonné une partie de l’aide alimentaire lors du premier confinement de Mars 2020, j’ai aussi pu constater qu’en période de crise il ne s’agissait plus, pour certaines familles, de se nourrir bien, mais de se nourrir tout court !

Je vous partage ici donc l’analyse empirique de mon expérience autour de l’alimentation durable et de qualité en quartier politique de la Ville et les enjeux pour les élus et les politiques menées.

Quelques chiffres en guise d’introduction !

La question de l’alimentation en Seine-Saint-Denis, et dans les quartiers politiques de la Ville, ne peut être appréhendée qu’en ayant quelques enjeux saillants en tête et quelques chiffres. Les voici répertoriés ci-dessous. Tous les chiffres cités sont issus de l’INSEE sauf indication contraire.

Des difficultés sociales persistantes : Le taux de pauvreté en Seine-Saint-Denis est deux fois supérieur à la moyenne nationale : 27,9% en 2017 contre 14,1% à l’échelle nationale.

Sans redistribution, le taux de pauvreté (28 % en 2017) serait encore plus élevé (39,4 %). Le niveau de vie médian de 17 310 € en 2017 reste le plus faible de France métropolitaine. Les écarts avec les départements voisins sont significatifs : - 9 780 € avec les Hauts-de-Seine et - 4 980 € avec le Val-de-Marne.

Cela induit pour ces populations une difficulté plus grande à pouvoir accéder à une alimentation de qualité et en quantité suffisante. Leur reste pour vivre est largement entamé dès le début du mois par des charges incompressibles comme le loyer, les factures énergétiques et les frais liés aux déplacements automobiles par exemple.

Des disparités encore plus fortes dans les quartiers politiques de la Ville du Département : Les structures familiales diffèrent avec à la fois plus de familles monoparentales (+8% par rapport aux territoires hors QPV) et de familles nombreuses de 3 enfants ou plus (+ 9 points). Les populations immigrées sont sur représentées (+11 points), ainsi que les actifs sans baccalauréat (+15 points) ou ceux se déclarent au chômage (+ 9 points). À l’inverse, la proportion de cadres y est deux fois et demi moindre. Cette disparité tend à s’accentuer au fur et à mesure des années entre les quartiers politique de la Ville et ceux qui ne le sont pas.

Ces disparités que subissent les quartiers classés Politique de la Ville ne font qu’accentuer la difficulté pour ces populations à pouvoir se nourrir correctement en quantité et en qualité.

Un département jeune au dynamisme démographique exceptionnel : Dans le contexte national de vieillissement, la part des jeunes de moins de vingt-cinq ans reste en 2015 la plus élevée de France métropolitaine (36 % de la population contre 30 %), malgré une baisse continue entre 1968 et 2010.

Ainsi, les dispositifs développés par la communauté éducative, au sens large, ont un rôle essentiel dans l’éducation alimentaire des enfants et des adolescents. Et cela notamment face à la force des réseaux sociaux qui ne sont pas avares dans la promotion de la « malbouffe » auprès de ce public.

Un département cosmopolite : Entre 1968 et 1982, le département est ainsi passé du 9e au 2e rang de France métropolitaine pour la proportion d’immigrés. Depuis, cette proportion a presque doublé pour atteindre près de 30 % en 2015, soit le 1er rang national (hors Mayotte). En 2016, les immigrés, dont près de la moitié est originaire de sept pays (Algérie, Maroc, Portugal, Tunisie, Turquie, Italie et Espagne), représentent 57 % des ouvriers et 39 % des employés du département. Cet accueil massif de population en âge de travailler ou d’avoir des enfants contribue à un dynamisme démographique qui reste soutenu dans le département.

La diversité des origines d’une population d’un territoire donné doit être prise en compte de manière incontournable lorsque l’on souhaite définir une stratégie d’alimentation durable et de qualité. En effet, les habitudes alimentaires diffèrent en fonction des origines des personnes, les besoins en approvisionnement aussi. L’appréhension symbolique du repas n’est pas non plus le même et doit être pris en compte dans cette stratégie.

Une faible pratique du sport : le taux de pratique sportive en Seine-Saint-Denis est plus faible dans toutes les catégories de population, par rapport à l’Île-de-France. La catégorie des 15-34 ans a cependant une pratique qui se rapproche des tendances régionales (61 % versus 67 %). Les freins à la pratique les plus souvent avancés sont le manque de temps, les horaires d’ouverture trop restreints et le prix d’accès. La pratique autonome est une réponse que les habitants apportent au manque de temps. L’appropriation des espaces publics, pourvu qu’ils soient ressentis comme suffisamment sécurisés et non polluants, constitue une piste de développement de la pratique sportive, qui va de pair avec l’aménagement du territoire. La pratique modérée d’activité physique, au-delà du bien-être mental qu’elle procure aux individus, réduirait de 30 % les risques de maladie coronarienne.

Ainsi, ces chiffres montrent que la prévention autour d’une alimentation saine et de qualité est d’autant plus importante lorsque la pratique du sport est moindre qu’ailleurs. Cela permet de réduire les risques d’obésité mais aussi de maladies potentiellement graves.

Ce rapide tour d’horizon des chiffres clefs de la Seine-Saint-Denis montre à quel point le développement d’une politique de lutte contre la précarité alimentaire et l’accès à une alimentation durable et de qualité est un enjeu essentiel pour les quartiers politique de la Ville de ce Département mais aussi pour les autres du territoire national.

 

Le rôle des collectivités dans le déploiement d’une politique alimentaire durable et de qualité : l’exemple dionysien.

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Mon expérience dionysienne et d’investissement autour des sujets de l’alimentation durable et solidaire m’a permis de constater que les collectivités, intercommunalités et Villes, ont l’essentiel des cartes entre leurs mains pour agir de manière ambitieuse. Voici quelques exemple ci-dessous sur la base d’illustrations de projets menés à Saint-Denis.

La politique de santé

De nombreuses collectivités en France ont décidé de conserver une action volontaire sur la politique publique de santé. C’est une question centrale dans le développement d’une politique de lutte contre la précarité alimentaire et le développement d’une politique d’alimentation saine et durable. En effet, la pauvreté de certaines populations en QPV induit de nombreuses maladies liées à cette situation : troubles bucco-dentaires, obésités, carences etc. Ainsi, les collectivités qui ont souhaité garder la compétence santé peuvent agir.

Pour exemple, à Saint-Denis, j’ai accompagné l’animation du Conseil Local de Santé Environnemental de la Ville. Différents groupes de travail avec la communauté de santé du territoire ont été mis en place, dont un sur l’alimentation durable et saine. Plusieurs actions ont été portées par ce groupe de travail et notamment :

  • L’accompagnement à l’émergence d’une offre de vrac à bas prix pour les personnes les plus précaires ;
  • La sensibilisation des lycéens de la Plaine Saint-Denis à une alimentation saine et équilibrée.

Dans le cadre du Contrat de Ville, la Place Santé, à Saint-Denis l’association Association Communautaire Santé Bien-Etre, joue un rôle primordial dans la sensibilisation des habitants à une alimentation la plus saine possible.

La politique de développement commercial

Les quartiers politique de la Ville souffrent d’un manque d’attractivité de la part des enseignes commerciales, qui pour la plupart craignent de ne pas rencontrer leur public. Cela a pour conséquence une offre commerciale souvent très peu diversifiée, très peu qualitative et qui ne correspond souvent pas aux attentes des habitants. Aujourd’hui les populations des quartiers politique de la Ville se renouvellent de plus en plus et sont en attentes de produits qualitatifs, biologiques et ne souhaitent plus se contenter de l’offre existante dégradée. Ainsi, en lien avec la direction du développement économique de Plaine Commune et la direction commerciale de la Ville de Saint-Denis nous avons mis en place une stratégie de démarchage proactive des enseignes afin de déconstruire auprès d’elles l’ensemble des préjugés lié à leur appréhension de ce type de quartier. Une boulangerie qualitative et à prix abordables est donc arrivée sur la place du Front Populaire.

Aujourd’hui, les collectivités n’ont que très peu de prise sur les cellules commerciales qui sont en vente sur leur territoire. A moins de mettre en place une politique de préemption ambitieuse et qui coûte cher, les collectivités doivent composer avec les projets que les bailleurs retiennent pour occuper une cellule commerciale, souvent les plus rentables, pas toujours les plus qualitatifs.

La politique sociale

Le premier confinement de Mars 2020 a été un choc pour les territoires de banlieue : il n’a fait que mettre en exergue les situations de précarité sur leurs territoires et notamment ceux en politique de la Ville. Les cantines fermées, le chômage technique étant une réalité pour certains, l’économie de la débrouille étant rendue impossible, des centaines de familles se sont retrouvées sans le sous pour subvenir à leur besoin principal : SE NOURRIR !

Heureusement, ce confinement a révélé le meilleur de certains d’entre nous : en banlieue, d’innombrables réseaux de solidarité se sont mis en œuvre pour subvenir aux besoins des voisins les plus fragiles. Des associations de quartiers, comme 7 Dreams à Saint-Denis, qui n’avaient que peu de choses à voir avec l’aide alimentaire dans leur objet social historique, ont remué ciel et terre pour organiser des réseaux de distributions alimentaires pendant plusieurs mois. Des femmes qui ne pouvaient plus travailler, comme les fondatrices de l’association MaMaMa, ont décidé de négocier avec les fournisseurs de lait maternel pour obtenir qu’un camion leur livre 6 tonnes de ce produit pour les redistribuer aux femmes de l’agglomération.

Pendant cette période, la Ville de Saint-Denis a décidé de distribuer des bons alimentaires aux familles les plus nécessiteuses. J’ai eu le plaisir de coordonner cette action qui représentait plus d’1 million d’euros en valeur numéraire. Suite au confinement, la Ville de Saint-Denis a décidé d’accompagner la structuration de l’aide alimentaire qui avait émergé de manière spontanée et notamment en accompagnant l’émergence d’épiceries sociales et solidaires sur le territoire de la Ville.

Ainsi, il est indispensable de traiter l’accompagnement de l’aide alimentaire d’urgence en période de crise. Cette approche nous semble nécessaire lorsque l’on souhaite mettre en œuvre une stratégie d’alimentation durable et éviter les ruptures d’alimentation chez les habitants de ces quartiers.

L’aménagement du territoire et politique foncière

Lorsque l’on parle de stratégie d’alimentation durable et de qualité, la question de l’approvisionnement en produits locaux se pose rapidement. En secteur urbain dense, il est sans aucun doute illusoire de croire que l’autonomie alimentaire se fera de manière très locale, même si des projets d’agricultures urbaines se développent de plus en plus, comme la ferme des possibles à Stains ou la ferme urbaine à Saint-Denis. Mais malgré tout, les collectivités peuvent imaginer des coopérations avec leur interland rural afin de définir une stratégie d’approvisionnement où chacune des parties prenantes y trouve son compte. Les projets d’agricultures urbaines, comme ceux cités plus haut, peuvent être de formidables outils de sensibilisation des populations à une alimentation de qualité et participer à la préservation du reste pour vivre des habitants en rendant accessible le prix des denrées et en participant à l’emploi local. J’ai d’ailleurs accompagné Plaine Commune en 2017 dans la préfiguration d’une boucle alimentaire local qui soit à la fois pourvoyeuse d’emploi local et de produits locaux de qualité.

Education & loisirs

Je terminerai par cette compétence qui est l’une des plus évidentes lorsque l’on évoque les compétences des collectivités. Nous savons à quel point la population des quartiers politiques de la ville de France sont jeunes. Ils sont l’avenir de notre pays. Ainsi, il est essentiel que ces jeunes soient sensibilisés à la nécessité de manger sainement et à tout âge. Des actions d’éducation peuvent être facilement menés en lien avec la communauté éducative d’un territoire de la petite enfance au Lycée et aussi dans le cadre des accueils de loisirs des villes.

 

Je pourrais continuer à développer mon propos sur d’autres compétences. Je pense avoir fait le tour des principales et les plus nécessaires en lien avec l’élaboration d’une stratégie alimentaire durable et de qualité. J’ai souhaité, à travers ce témoignage, vous faire part de mon expérience concrète, en tirer des enseignements et des lignes de force pour développer des politiques ambitieuses sur ce sujet.

 

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