La résilience, seule liste encore crédible pour le second tour des municipales

08 avril 2020 11:58
La résilience, seule liste encore crédible pour le second tour des municipales
Chapô

Le report du second tour des municipales, à l’automne probablement, permet de tirer les enseignements de la crise actuelle pour les politiques locales. Il pourrait s’agir d’un point d’inflexion majeur en faveur d’un revirement des politiques au service de la résilience de leurs territoires.

 

Les élections municipales des 15 et 22 mars auront décidément déjoué tous les pronostics, en commençant par la date de leur tenue. Le report du second tour ne doit pas être vu comme un simple report de date pour des raisons logistiques : c’est dans une économie en crise, avec un cortège de certitudes ébranlées, que se tiendra ce scrutin. Si le premier tour a permis une percée notable des considérations écologistes, le second tour pourrait prendre un virage autrement plus serré en faveur d’un changement de modèle économique.

 

Face au marasme économique

Il suffisait de presque rien, un minuscule virus venu d’un animal ignoré, pour faire tomber l’économie française à 65% de ses capacités (selon les estimations, encore fragiles, de l’INSEE). La crise s’annonce brutale : crise de l’offre et de la demande, chômage (heureusement pour l’instant surtout partiel en France), endettement public, anticipation de coupes budgétaires, dévaluation des monnaies fragiles, fuite des capitaux… la spirale pourra difficilement s’enrayer à l’aide des politiques monétaires, dans un contexte où les taux d’intérêt sont déjà négatifs et où l’économie mondiale est droguée à la dette.

Dans cette situation, quelle « reprise » proposeront les pouvoirs publics nationaux et locaux ? Comme le suggère le sens premier du mot crise (« krisis » en grec), il s’agit d’un moment critique où un choix s’impose. Première option, celle du « rattrapage » en mode business as usual, option favorisée par les œillères de la plupart des élites économiques. En effet, nul doute que les injonctions à produire et à consommer encore davantage se feront entendre de plus belle, comme si la crise écologique devait passer au second plan. Une autre option fait cependant entendre sa petite musique depuis quelques semaines : plus rien ne sera plus comme avant. Le confinement a montré que la société pouvait se recentrer sur « l’indispensable », s’habituer à une certaine sobriété, à des déplacements réduits, à une réduction du temps de travail, au primat de la santé sur la croissance, à un contact renouvelé avec la nature (pour le million de Franciliens qui auraient quitté la région par exemple) …

 

Démondialiser les économies locales

C’est la mondialisation des échanges qui, à travers le virus, révèle ses faiblesses les plus profondes. A l’évidence, l’économie sera d’autant plus fragile qu’elle dépendra fortement d’un ailleurs qu’elle ne maîtrise pas. Dès lors, comment les politiques locales, avec les compétences dont jouissent les communes et surtout les intercommunalités, pourraient ne pas s’engager dans une stratégie de résilience ?

La résilience, que nous pouvons définir sommairement comme la capacité d’un territoire à résister à des chocs, passe nécessairement par un accroissement de l’autonomie, et cette autonomie suppose une réduction des besoins vis-à-vis de l’extérieur. Qu’il s’agisse de l’autosuffisance alimentaire d’une ville comme Paris (3 jours), de la « facture énergétique des territoires » de la plupart des agglomérations (en dizaines de millions d’euros / an, outil gratuit développé par Auxilia et Transitions) ou encore du potentiel de créations d’emplois en cas de réduction de 10% des importations (8 400 emplois locaux directs sur la métropole de Toulouse, étude Utopies), nous connaissons aujourd’hui les coûts de cette dépendance.

Cette politique de réduction des besoins externes peut s’appuyer sur de véritables compétences communales et intercommunales, comme l’approvisionnement de la restauration collective ou le soutien aux monnaies locales. Puisque les Français s’habituent au télétravail, la généralisation de ces manières de travailler peut réduire drastiquement nos besoins en déplacements, et donc notre dépendance aux énergies fossiles. Là encore, les communes peuvent montrer l’exemple et inciter les entreprises du territoire à s’engager dans ces nouveaux modes de travail.

Au fond, la réduction des besoins s’applique aussi, à long terme, aux enjeux de santé. En s’engageant résolument dans des politiques de prévention, en considérant qu’un environnement de qualité est clé pour la santé des habitants, les politiques locales peuvent réduire nos besoins en médecine curative. A travers leur action contre les pesticides ou pour la qualité de l’air, les élus ont un rôle majeur à jouer pour préserver nos systèmes de santé.

 

Renforcer les capacités productives locales

Mais il ne suffit pas de réduire les besoins pour atteindre une économie plus résiliente. De manière tout aussi décisive, les politiques locales doivent s’engager dans des stratégies de renforcement des capacités de production locales.

Certaines villes agissent pour aider les agriculteurs bio à obtenir des terres et à s’installer (cf. la coopérative « Terres en chemin », dans le village d’Alloue), certains territoires renforcent massivement leur production énergétique (cf. projet Min a Watt à Nantes), mais d’autres laissent leurs usines fermer alors qu’elles peuvent s’avérer stratégiques (cf. fermeture de Luxfer, dans le Puy-de-Dôme, la seule entreprise française à fabriquer des bouteilles d’oxygène). Cette question des conditions du maintien de l’économie locale, appliquée ici à des secteurs stratégiques, invite également à repenser le rôle des « travailleurs essentiels », ceux qui répondent aux fonctions vitales d’un territoire (se nourrir, se loger, se soigner…), alors qu’ils sont souvent déconsidérés et contraints de se loger loin des villes.

A travers leurs achats, à travers leurs jeux d’influence, mais aussi à travers leurs aides économiques et leurs politiques foncières, les prochains élus pourront aider à une relocalisation de l’économie. On l’a vu : en quelques semaines, les supermarchés ont été capables de s’approvisionner quasiment entièrement en fruits et légumes français. Une nouvelle vague de relocalisation économique, appliquée à tous les secteurs, devra être impulsée par les pouvoirs locaux.

Enfin, ne limitons pas ces réflexions aux questions purement économiques. Le capital naturel et le capital social constituent tout autant des richesses à maximiser pour augmenter la résilience des territoires. Deux exemples suffiront à étayer ce propos : d’un côté, le rôle prépondérant que joue la déforestation dans la propagation des virus ; de l’autre, l’importance des tissus associatifs locaux pour organiser des solidarités au quotidien auprès des personnes isolées ou infectées. Ainsi, les collectivités qui n’auront pas pris soin de leurs écosystèmes, qui n’auront pas soutenu la société civile dans ses activités – notamment en renforçant le pouvoir d’agir des habitants – auront tendance à se retrouver davantage désarmés en cas de nouvelle crise exogène.

Au second tour, les candidats auront l’occasion de revoir leurs propositions pour insister sur la manière dont sobriété des besoins et abondance des capacités de production locales peuvent s’articuler. Ces politiques, auxquelles chacun attribuera un vocable (des politiques convivialistes ? De résilience ? De résistance à l’effondrement ? Des communs ?), doivent tirer les enseignements de la crise actuelle. Car, comme les précédentes crises économiques, celle-ci appelle un rebond du politique. Y compris au niveau local.

 

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